« Nous vivons dans un monde contrôlé par des algorithmes ; ce n’est pas ce que l’humanité mérite ».

Discours à l’UNESCO du délégué de la République dominicaine M. Andrés L. Mateo

 

Chèr.e.s collègues, Excellences,

En discutant au sein de notre délégation des contenus du document 41 C/5 qui nous préoccupent lors de ce 217e Conseil exécutif, nous avons identifié des changements substantiels dans la méthodologie d’exposition, la base documentaire et le support graphique statistique de la redistribution. Ces changements rendent plus explicite et objective la gestion globale du budget dans les programmes qui soutiennent le mandat de l’UNESCO.

C’est à ce moment que nous nous sommes demandés ce que serait le monde sans l’UNESCO. En examinant les engagements contenus dans ce document 41 C/5, nous avons pris conscience du rôle intrinsèquement lié au progrès et à la paix jouée par notre organisation. Bien que ce Conseil exécutif s’ouvre sur un contexte sombre, le contenu humaniste du rapport de notre Directrice générale et le travail accompli par la Présidente du Conseil exécutif au cours de ces deux dernières années nous réconfortent. Nous tenons également à féliciter le Secrétariat pour un document qui dépasse en qualité tous les autres C/5 avec lesquels nous avons travaillé ces dernières années.

Le monde dans lequel nous vivons est marqué par un besoin omniprésent de comprendre ce qui se passe sous nos yeux et de contribuer éventuellement à sa résolution.

Discours à l’UNESCO du délégué de la République dominicaine M. Andrés L. Mateo

 

Le véritable début de l’approche scientifique des problèmes consiste à décrire les phénomènes, puis à les regrouper, les classer et les corréler conformément aux processus méthodologiques. C’est précisément ce que nous trouvons dans ce document 41 C/5. Il s’agit d’une fresque gigantesque de nos préoccupations découlant du mandat confié à l’UNESCO par la communauté mondiale. Seule l’UNESCO est en mesure de s’interroger sur l’instrumentalisation de la science et d’élaborer un code d’éthique pour mettre en garde contre la manipulation perverse de l’intelligence artificielle. Qui d’autre assure un suivi systématique de l’état de l’éducation à l’échelle mondiale ? Qui dresse des cartographies de la durabilité des océans ? Qui est à l’avant-garde de la protection de la diversité culturelle ? Qui évalue et mesure la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) numéro 4 ?

Qui prône la science ouverte et lutte contre toutes formes de discrimination, tout en s’engageant dans les priorités des stratégies de développement pour les petits États insulaires, les régions telles que l’Afrique, l’Amérique latine et les Caraïbes ?

 

Discours à l’UNESCO du délégué de la République dominicaine M. Andrés L. Mateo

 

L’UNESCO est une gigantesque pépinière d’idées. L’inventaire des rapports des différentes agences, qui sous-tendent les considérations du présent C/5, nous plonge au cœur des problématiques mondiales. Je cite deux grandes problématiques universelles, détaillées dans le C/5, à savoir la question de l’eau et de l’intelligence artificielle. Les prévisions des experts concernant l’eau sont alarmantes et nous poussent à agir sans délai. Il est impossible d’éviter l’anxiété.

D’ici 2050, plus de 2 milliards de personnes dans le monde urbain seront confrontées à une pénurie d’eau, et déjà aujourd’hui, plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, tandis que plus de 4,2 milliards ne disposent pas d’assainissement de base. Nous lisons également à propos de sécheresses extrêmes et prolongées qui, par moments, ravagent les cultures et empêchent toute forme d’agriculture, entraînant la mort de plantes et d’animaux. C’est le coup de fouet du changement climatique.

Quant à l’intelligence artificielle, le C/5 l’aborde du point de vue du défi qu’elle nous lance par rapport à l’intelligence humaine. Nous constatons comment les outils de l’intelligence artificielle avancent, nous séduisent, nous captivent et nous hypnotisent. Bien qu’il soit vrai que ces avancées aident à résoudre les grands problèmes de l’humanité dans pratiquement tous les domaines, il est tout aussi vrai que nous assistons à un appauvrissement rapide de l’intelligence naturelle.

 

Discours à l’UNESCO du délégué de la République dominicaine M. Andrés L. Mateo

 

Stanislas Dehaene, le scientifique français qui a le plus étudié le fonctionnement du cerveau humain, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet et directeur de l’Institut du cerveau en France, a récemment souligné dans une interview accordée au journal espagnol El País, les désavantages du cerveau humain par rapport à la vitesse et à la capacité de l’intelligence artificielle à relier des paramètres et des informations. Il pose cette question essentielle sur le défi auquel nous sommes confrontés : « Abandons-nous notre capacité d’apprentissage, de créativité, d’intelligence artistique et émotionnelle pour devenir esclaves des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle ? 

Mais au-delà de ça, aurons-nous les connaissances et la capacité de discernement nécessaires pour choisir notre avenir dans un monde binaire où la manipulation et le biais s’imposent comme des pratiques de contrôle social ? ».

 

Discours à l’UNESCO du délégué de la République dominicaine M. Andrés L. Mateo

 

L’UNESCO, avant toute autre institution, a élaboré un Manuel d’éthique sur l’intelligence artificielle, soulignant que tous les objectifs de son déploiement dans le monde contribuent à enrichir le cadre des relations sociales universelles et au renforcement de la condition humaine. Notre intervention aujourd’hui lors de ce 217e Conseil exécutif est une apologie du C/5 qui nous est présentée. Cependant, il s’agit également d’un appel à ne pas rester un simple discours de souhaits. Il est nécessaire que les programmes de l’UNESCO se transforment en programmes gouvernementaux, que nous consolidions notre présence sur le terrain en respectant l’équilibre régional et les normes de proportionnalité, dans le but de renforcer davantage la nature intergouvernementale qui nous caractérise.

Excellences, nous vivons dans un monde complexe et c’est une chance de travailler à l’UNESCO. Un monde contrôlé par des algorithmes. Byung-Chul Han, le philosophe contemporain le plus engagé à nous faire comprendre la complexité de l’existence dans un tel monde, dit ceci : « Aujourd’hui nous courons après l’information sans atteindre un savoir. Nous prenons note de tout sans obtenir une connaissance. Nous voyageons partout sans acquérir d’expérience. Nous communiquons en permanence sans participer à une véritable communauté. Nous stockons d’énormes quantités de données sans souvenir à conserver. Nous accumulons des amis, des suiveurs ou des abonnés sans rencontrer l’autre. L’information crée ainsi un mode de vie sans permanence ni durée ».

Ce n’est pas ce que nous souhaitons. Ce n’est pas ce que prône le discours de l’UNESCO. Ce n’est pas ce que l’humanité mérite…

Merci beaucoup…

Propos recueillis par : Victoria Estévez de Jesús

Propos recueillis par : Victoria Estévez de Jesús

Conseillère de la République Dominicaine auprès de l’UNESCO