Aujourd’hui, il est courant d’entendre dire que l’Amérique latine, et précisément le Pérou, est une terre de métissage. Un lieu où le mélange de différentes cultures a formé la physionomie de ses nations. La rencontre des civilisations indigènes avec la civilisation occidentale est le fondement du Pérou tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le terme « métis » désigne ici, l’enfant d’un Espagnol et d’une indigène. L’histoire de la conquête du Pérou offre de nombreux exemples de ce phénomène historique. La plus intéressante à découvrir est peut-être celle d’Inca Garcilaso de la Vega, fils du conquistador Sebastián Garcilaso de la Vega et de la « Princesse inca » Chimpu Ocllo. Son histoire et ses vicissitudes reflètent largement l’identité du peuple péruvien, qui a toujours eu du mal à concilier sa double origine espagnole et indigène.
L’histoire de Gómez Suárez de Figueroa, nom de baptême d’Inca Garcilaso, traverse l’Espagne et le Pérou. Il est né le 12 avril 1539 à Cuzco. Sept ans plus tôt, Atahualpa, demi-frère de Huascar et héritier du trône de l’empire inca, avait été capturé par les Espagnols. Cet événement marque le début de la conquête. Pour la lignée de sa mère, l’Inca appartient à la lignée de Huascar, également héritier du trône et s’est engagé dans une guerre civile contre Atahualpa. Par lignée paternelle, les poètes Garcilaso de la Vega et Jorge Manrique sont apparentés au métis péruvien, c’est-à-dire qu’il est issu d’une lignée noble aux illustres ancêtres. Cela fait de lui le fruit d’élite espagnoles et incas. Il est important de souligner que l’union entre les parents d’Inca Garcilaso a eu lieu sans mariage. Il est donc devenu un fils bâtard. Son père épousera plus tard une Espagnole née dans les îles des Caraïbes et abandonne la mère d’Inca au bras d’un espagnol de rang inférieur, un détail qui le fera redescendre dans la hiérarchie. C’est un signe du conflit d’identité et de loyauté qui hante la vie du métis. C’est un enfant né d’un violent impact entre deux mondes différents.
L’éducation d’Inca Garcilaso a d’abord été marquée par les histoires qu’il entendait des membres de la royauté inca. Ils dépeignaient une vision fantastique et grandiose de l’empire inca. Pourtant, il pouvait ressentir leur tristesse et leur nostalgie face à l’effondrement de leur propre civilisation. Cette nostalgie l’accompagnera toute sa vie. Dès le début de son enfance, il a eu accès à l’éducation grâce à l’ecclésiastique Juan de Cuéllar, à l’égal des enfants des autres conquistadors.
Tout cela s’est produit en même temps que les guerres civiles entre espagnols, suite aux conflits postérieurs à la conquête. À la mort de son père, il reçoit en héritage 4.000 pesos, avec lesquels il s’embarque pour l’Espagne, où il est accueilli par son oncle, dans la petite ville de Montilla, près de Cordoue. Suite au décès d’un de ses oncles, il hérite d’une somme d’argent et de biens conséquents qui lui apportent une stabilité financière durable et décide de se consacrer, corps et âme, à une carrière littéraire autodidacte. Il commence à fréquenter les cercles intellectuels de la région et arrive à publier une traduction de l’italien de l’œuvre de Leon Abarbanel Hebreo, “Diálogos de Amor” (les « Dialogues de l’amour »).
La nostalgie de son passé et le désir de donner son propre témoignage, l’ont finalement conduit à écrire son chef-d’œuvre “Comentarios Reales de los Incas » (Commentaires royaux des Incas). Cette œuvre offre une vision personnelle de ce qui s’est passé, et vise à montrer au monde occidental qui étaient leurs ancêtres. Cette œuvre est, à son tour, une tentative de légitimation de sa propre condition de métis, puisqu’il y démontre que le patriotisme inca et le patriotisme espagnol ne sont pas incompatibles, comme l’a souligné le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa dans un discours prononcé en l’honneur du 400e anniversaire des « Comentarios Reales de los Incas » (Commentaires royaux des Incas). En même temps, son œuvre majeure est un règlement de comptes à la fois en faveur de sa propre lignée et en faveur de son père, dont la réputation avait été entachée pour avoir soutenu la rébellion de Gonzalo Pizarro, qui allait à l’encontre des nouvelles lois indiennes visant à protéger les Indiens des abus des conquistadors.
Les « Comentarios Reales de los Incas » (Commentaires royaux des Incas) représentent un document témoin de l’effort intellectuel de quelqu’un que nous pouvons identifier comme le premier Péruvien. Le Pérou d’Inca Garcilaso de la Vega n’est pas seulement son passé inca, mais aussi son passé espagnol, un véritable mélange des deux. Son histoire montre les contradictions et la bravoure de quelqu’un qui a vécu dans un monde qui n’offrait pas, à première vue, un espace réservé aux métis. Inca Garcilaso a reproduit une partie de son passé en ne reconnaissant pas comme fils légitime, l’enfant qu’il avait eu avec une de ses servantes. Il fait également partie de la répression de la rébellion des Alpujarras contre les Maures encore installés dans la péninsule ibérique. L’histoire du métissage péruvien est une métaphore vivante, toutes proportions gardées, de ce que signifie être péruvien.
Dante Wong
Auteur de l'article (Traduction : Claudia Oudet )