Junior Sornoza, joueur d’Independiente del Valle
L’Équateur n’est pas seulement un pays naguère (plus ou moins) paisible soudainement devenu le carrefour latino-américain du narcotrafic. Parmi les nombreuses raisons de parler en bien de l’Équateur, l’une des plus importantes est le football. Le football équatorien ? Le football, en Amérique latine, direz-vous, c’est le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay… un peu tous les pays d’ailleurs, mais l’Équateur, vraiment ?
© Bob Thomas – Alex Aguinaga
L’Équateur, bien sûr. Certains se souviendront du milieu de terrain offensif Alex Aguinaga. L’Europe n’a pas eu le bonheur de voir onduler « El Güero », sa fine silhouette presque diaphane et son toucher de balle soyeux. Le natif d’Ibarra, qui a débuté au SD Quito, a passé l’essentiel de sa carrière sous le maillot de Necaxa, alors l’un des plus grands clubs de Mexico. 14 saisons, 473 matches, 84 buts et des trophées en pagaille, mais aussi le titre honorifique de « meilleur joueur de la décennie 1990 » dans le championnat aztèque. Au Mexique, c’est une idole. Son dernier tour de piste, au petit trot, sous le maillot de la LDU de Quito à 36 ans en 2005 ? Un titre de champion national et des frissons pour des décennies… L’Europe est passée à côté de la merveille : tant pis pour elle, on ne peut pas tout avoir.
De l’Équateur, on se souvient aussi des participations de la Tri(color), la sélection nationale aux Coupes du Monde en 2002, 2006, 2014 et 2022. En 2002, Alex Aguinagua est là, pour la première participation de la Tri à la phase finale de la compétition. C’est la génération des Edison Mendez et des Agustin Delgado : un apprentissage.
L’édition 2006 est historique. La Tri, après avoir battu la Pologne (2-0, Tenorio et Delgado) et le Costa Rica (3-0, Tenorio, Delgado, Kaviedes), se qualifie pour les huitièmes de finale : défaite 1-0 contre l’Angleterre (but de Beckham). 2014 puis 2022, malgré les trois buts de Enner Valencia, se terminent par des éliminations au premier tour, mais le printemps est proche.
© Hernan Cortez – Independiente del Valle
Car depuis quelques années, le football équatorien est furieusement à la mode, que ce soit en Amérique du Sud ou en Europe. La principale raison du phénomène a pour nom : « Independiente del Valle ».
Le football de club en Équateur a longtemps tourné autour de la rivalité entre le Barcelona de Guyaquil et les albos de la LDU de Quito, qui rejouent perpétuellement à leur façon le classico espagnol. Personne n’oublie bien sûr les heures de gloire de l’Emelec, d’El Nacional, de l’Aucas de Quito, de l’Olmedo de Riobamba, du Deportivo Cuenca et des autres, mais le véritable hit du moment c’est bien l’Independiente del Valle, son projet formidablement ambitieux et incroyablement couronné de succès.
Tout a commencé en 2007, lorsque l’homme d’affaires Michel Deller devient propriétaire avec un groupe d’amis du club de la ville de Sangolqui, dans la banlieue sud de Quito. Le club, qu’il rebaptise Independiente del Valle, stagne alors dans les divisions inférieures. Il décrivait en 2016, pour ESPN, l’esprit dans lequel ce passionné de football s’est engagé dans l’aventure : « nous avons vu l’opportunité de prendre le contrôle d’une structure importante, bien développée dans la formation et aussi celle d’avoir un club qui serait tourné vers une approche sociale et un développement intellectuel et humain de ses joueurs. En même temps, nous partagerions nos valeurs avec la communauté locale et avec tout le pays ». Pas d’achat de joueurs à prix d’or du côté de l’Independiente del Valle, mais un investissement massif dans la formation, les infrastructures et l’encadrement des jeunes joueurs avec la volonté de prouver que, si on leur en donne les moyens, les footballeurs équatoriens peuvent atteindre le plus haut niveau.
Cette philosophie, qui consiste à former des hommes avant de former des sportifs, à transmettre le goût de la discipline, de l’effort, le respect du vivre ensemble et une solide éducation, a produit des résultats spectaculaires. Independiente del Valle a atteint la finale de la Copa Libertadores (2016), a remporté à deux reprises la Copa Sudamericana (2019 et 2022) et une fois la Recopa (2023) : des performances continentales auxquelles il faut ajouter un premier championnat national en 2021.
Estadio Banco Guayaquil ou Estadio Independiente del Valle
Les joueurs formés à Independiente del Valle font aussi désormais les beaux jours de la Tri : dans le groupe retenu par le sélectionneur Félix Sánchez Bas en septembre 2023, 14 des 23 joueurs avaient été formés au club et cinq d’entre eux en portaient toujours le maillot. Car, revers de la médaille et conséquence logique, les plus brillants ont tendance à vouloir montrer leur talent dans des championnats plus réputés et rémunérateurs, en Europe et parfois au proche Orient. Une des stars de la sélection nationale, le milieu de terrain Moises Caicedo, après avoir brillé en Angleterre sous les couleurs de Brighton, a rejoint Chelsea à l’été 2023 pour un transfert record de 133 millions d’euros.
Ils sont toute une génération montante, internationaux et formés à Independiente del Valle, à porter les couleurs de clubs étrangers : Piero Hincapié (22 ans, Bayer Leverkusen), Willian Pacho (22 ans, Eintracht Francfort), Angelo Preciado (25 ans, Sparta Prague), Nilson Angulo (20 ans, Anderlecht), Gonzalo Plata (23 ans, Al-Sadd). La nouvelle pépite de l’Independiente, le milieu de terrain Kendry Paez (16 ans), déjà international, est quant à lui promis à Chelsea, qu’il rejoindra à sa majorité.
Tous unis par l’amour de la Tri, ces champions formés à l’Independiente del Valle, partagent le même langage et les mêmes valeurs. Ils permettent à tout un pays de rêver alors qu’approchent la Copa America 2024 et la Coupe du Monde 2026 qui vont se disputer en Amérique du Nord et offrent à l’Équateur la belle image que mérite ce fascinant pays.
Laurent TRANIER
Rédacteur en chef d'Opinion Internationale, responsable de la rubrique Amérique Latine, fondateur des Editions : Toute Latitude