Ce documentaire de François-Xavier Drouet, L’Évangile de la Révolution est le premier film à traiter le sujet de l’engagement de l’Église aux côtés des plus pauvres en Amérique latine, à partir des années soixante. Ce film a fait partie de la sélection officielle hors compétition de la 7è édition du Festival International de Film Politique de Carcassonne (16-20 janvier 2025).
Sous le nom de Théologie de la Libération, ce sont des millions de chrétiens de tous types qui ont soutenu les populations opprimées de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. Née dans le sillage du concile Vatican II, elle réussissait le tour de force de réconcilier marxisme, évangile et révolution au nom de la justice sociale, pour l’avènement d’une société plus égalitaire. Pourtant ces luttes si nécessaires auront connu une répression sauvage de la part des dictatures, avec les États-Unis en arrière-plan et l’opposition du Vatican.
Ce film montre le rôle joué par des personnalités ecclésiastiques, tels Leonardo Boff, l’un des chefs de file du mouvement, Frei Betto, moine dominicain brésilien, l’archevêque Oscar Romero assassiné en pleine messe par les militaires en 1980 au Salvador, par exemple, ou par de simples catéchistes.
Le documentaire se concentre sur quatre pays emblématiques : le Nicaragua, le Salvador, le Brésil et le Mexique. Le réalisateur livre ici la mémoire d’une histoire des luttes dont les derniers protagonistes s’éteignent…
Ce film a une portée pédagogique car il restitue une phase de l’histoire de ce sous-continent que bon nombre auraient préférer enterrer ou oublier. Certes, finalement ce seront les vaincus de l’histoire mais l’important restent les luttes qui ont été menées et l’investissement de toutes les parties impliquées courageusement et héroïquement, au péril de leur vies. Les stigmates de ces conflits au sein des différents pays occupent une place centrale dans le film à travers plusieurs décennies.
Malheureusement, la générosité de la théologie de la libération payé un lourd tribut en termes de tortures et d’assassinats. Grâce à des images d’archives, des captations et des interviews, on replonge dans cette période où la détermination de l’engagement de ces femmes et ces hommes de foi n’a d’égal que la force de l’espoir d’une vie meilleure et plus juste pour ces populations démunies. On s’en réfère à Jésus-Christ et à ses origines très humbles pour faire œuvre de charité chrétienne dans une démarche révolutionnaire. C’est la particularité de ce mouvement qui rassemble marxisme, religion et révolution.
Le réalisateur, François-Xavier Drouet, est diplômé en sciences politiques et en anthropologie. Il a également suivi un master de réalisation de documentaire de création à Lussas. Et il vit et travaille sur le plateau de Millevaches. Connu précédemment surtout pour son documentaire environnemental Le temps des forêts (2018), il a voulu comprendre, avant tout pour lui, à travers son nouveau film documentaire comment l’Église avait pu être émancipatrice dans ce processus révolutionnaire alors même qu’il considérait davantage la religion comme l’opium du peuple et qu’il se définit comme athée malgré une éducation catholique conservatrice.
Ainsi, il revisite le souffle révolutionnaire de l’Amérique latine du XXème siècle à l’aune de la contribution et de l’engagement des chrétiens dans les luttes politiques contre les régimes militaires et les oligarchies dans le but de parvenir à l’avènement du royaume de Dieu sur Terre. Violente utopie retracée par ce film. Néanmoins, la théologie de la libération a su formuler une critique à l’intérieur même de l’Église, la plus radicale depuis la Réforme. Le Pape Jean-Paul II à l’époque n’avait ni soutenu ni su comprendre ce mouvement. Tandis que le Vatican s’est employé à le neutraliser.
Ce film se propose aussi de se demander s’il reste un héritage de ce mouvement dans les revendications sociales actuelles et à venir. Et même si tel n’était pas le cas, il transmet au moins cette histoire aux nouvelles générations. Car les réalités des luttes politiques de l’Amérique latine ont bel et bien été influencées par la théologie de la libération pendant plusieurs décennies : résistance aux dictatures, révolution sandiniste, insurrection au Salvador, combat des sans-terre au Brésil jusqu’au soulèvement zapatiste au Mexique et aux mouvements indigénistes.

Brigitte Berganton
Journaliste en charge de l’actualité cinématographique pour El Café Latino