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Grâce à ses parcs-bibliothèques et aux autres actions d’un projet qui a multiplié par cinq les investissements publics dans la culture, Medellin a réussi à réduire le taux de mortalité par homicide de 96,3 % en deux décennies. Jorge Melguizo, un consultant colombien impliqué dans cette transformation, affirme que “le contraire de l’insécurité n’est pas la sécurité mais la coexistence” et il témoigne d’expériences similaires à Recife, au Brésil, et dans la commune d’Itzapalapa, à Mexico.
En 1991, Medellin était la ville la plus violente du monde, avec un taux de 381 décès pour 100.000 habitants : près de 20 par jour et la plupart d’entre eux étaient des jeunes blessés par balle. La ville colombienne était devenue symbole de trafic de drogue, de violence, d’insécurité et de corruption. Entre 1992 et 2020, le taux de mortalité par homicide a été réduit de 96,3 % et la capitale du Département d’Antioquia s’est transformée en un modèle pour les autres villes du monde en termes de changement, de modernisation, d’internationalisation, d’évolution, d’éducation, de culture et de programmes sociaux et urbains à fort impact.
Après des transformations qui ont été initiées au début des années 1990 et qui se sont accélérées depuis 2004, avec plus ou moins d’efficacité, Medellin est devenue un laboratoire d’innovation. En janvier 2004, un groupe de citoyens a commencé à gouverner la ville, remportant les élections au nom d’un mouvement civique, Compromiso Ciudadano (L’engagement citoyen), avec le soutien politique du parti Alianza Social Indígena (Alliance sociale indigène). Le groupe était initialement composé de 50 personnes issues du monde académique (universités publiques et privées), d’ONG, d’organisations communautaires et d’entrepreneurs.
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Le parc-bibliothèque San Javier, à Medellin, est une initiative imitée dans d’autres villes : investir dans des espaces culturels et éducatifs dans les quartiers où le taux de violence est le plus élevé.
À cette époque, la ville colombienne est passée d’un investissement de 0,68 % de son budget public dans la culture en 2002 à 5 % en 2007. Jusqu’en 2020, cet investissement s’est maintenu entre 3 et 5 % et il a été axé sur la construction d’équipements culturels à haute valeur symbolique dans les quartiers où les niveaux de pauvreté, de violence et de densité de population sont les plus élevés. Les dispositifs développés sont les parcs-bibliothèques, les centres de développement culturel, les maisons de la musique et les unités de vie articulée (UVA). “L’objectif de ces espaces était que le public devienne un générateur d’équité et de qualité dans tous les territoires de la ville”, explique Jorge Melguizo, consultant colombien qui a participé à des projets sociaux de transformation à Medellin.
Jorge Melguizo est journaliste et il a étudié la communication sociale à l’université d’Antioquia. Il a enseigné à Pontificia Bolivariana, San Buenaventura et Escolme. Pendant sept ans, il a dirigé l’ONG Surgir, à Medellin, dédiée à la prévention de la consommation de drogues. Il a également été chargé des processus de transformation urbaine, sociale, éducative et culturelle de la ville en tant que responsable du centre-ville de Medellin (2004 – 2005), secrétaire de la culture citoyenne (2005 – 2009) et secrétaire du développement social (2009 – 2010). Au cours des douze dernières années, il a participé à l’accompagnement des processus urbains en Amérique latine. Il a conseillé 140 villes dans 18 pays.
Le fait marquant de la politique culturelle de Medellin que Jorge Melguizo met en avant est le Centro de Desarrollo Cultural de Moravia (Centre de développement culturel de Moravia), construit en 2007 pour un coût de 2,8 millions de dollars, entièrement financé par une fondation privée. Le Centre Moravia avait été pendant 16 ans (1968 – 1984) la décharge ouverte de la ville et ce quartier était devenu le plus violent et l’un des plus pauvres de la ville.
Des services publics, des programmes de logement, de santé, d’éducation, d’environnement et de culture y ont été développés pour les 40.000 habitants du quartier. Depuis lors, le Centre de développement culturel de Moravia est le symbole du quartier.
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Les centres communautaires pour la paix, connus sous le nom de Compaz, à Recife, dans l’État de Pernambouco (Brésil), proposent des activités culturelles, éducatives, récréatives et sportives.
Un autre projet très caractéristique de la ville est celui des parcs-bibliothèques. Il y en a actuellement dix, qui font partie du réseau des bibliothèques publiques de Medellin. Ces espaces sont stratégiquement situés dans les zones les plus pauvres nécessiteuses de Medellín et ils ont été conçus comme des lieux de mise en œuvre de différents programmes sociaux, culturels et éducatifs visant à améliorer la qualité de vie des citoyens. L’objectif de ces installations est de fournir aux habitants la culture, l’inclusion sociale, l’accès à des informations utiles, opportunes et une éducation de qualité.
Dans chaque parc-bibliothèque, on trouve 20.000 livres, une salle de lecture pour enfants et adultes, des ordinateurs avec connexion gratuite à Internet, un réseau wifi, des ludothèques pour les enfants de moins de 10 ans, des auditoriums, des salles pour les ateliers et les cours, des écoles de musique symphonique, des centres de développement entrepreneurial et des cafétérias (gérés par des micro-entrepreneurs du quartier).
“En Amérique latine, la violence est présente dans la vie de la plupart de ses habitants et, par conséquent, la préoccupation de toutes les politiques publiques et des actions citoyennes doit être la cohabitation. La culture est essentielle : les programmes culturels et les festivals deviennent la scène de la cohabitation, de création et de projection; ce sont des espaces où nos souvenirs, notre diversité et notre richesse culturelle resurgissent ; des espaces et des moments où nous reconnaissons les manifestations culturelles comme une façon de regarder d’autres réalités et d’apprendre des autres”, déclare Jorge Melguizo. Et il ajoute : “Le contraire de l’insécurité n’est pas la sécurité mais la cohabitation.”
Les Compaz de Recife ont été développés par le Secrétariat de la sécurité urbaine avec l’idée que des espaces de cohabitation sont plus efficaces pour la sécurité que l’intervention des forces de sécurité.
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L’expérience de Recife
Les centres communautaires pour la paix, plus connus sous le nom de Compaz, dans la ville de Recife, dans l’État de Pernambuco, au Brésil, se sont inspirés du modèle de Medellin. Quatre centres, dont des bibliothèques, ont été développés entre 2012 et 2020. Le secrétaire à la sécurité urbaine de Recife, Murilo Cavalcanti, a été l’instigateur de ce projet. Le principe de J. Melguizo est de « créer des espaces de cohabitation pour réduire l’insécurité ». Les Compaz sont des installations d’une grande qualité architecturale qui proposent des activités sportives, culturelles et éducatives. Ils promeuvent la citoyenneté, la culture de la paix et la non-violence. Selon M. Cavalcanti, ces espaces visent à réduire les inégalités et le taux de crimes violents et létales itératifs (CVLI) et à créer des opportunités sur le marché du travail. En outre, des services complets sont offerts à la communauté et, pour cette raison, tous les secrétariats de la mairie de Recife sont impliqués. Une méthodologie a été développée dans laquelle la communauté a tenu un rôle important dans l’emplacement des bâtiments.
Le Boeing désaffecté converti en bibliothèque est l’une des UTOPÍAS, unités de transformation et d’organisation pour l’inclusion et l’harmonie sociale, du bureau du maire d’Itzapalapa à Mexico.
La première unité Compaz de Recife a été inaugurée en 2016 dans la banlieue d’Alto de Santa Terezinha. En 2018, la zone où se trouve l’unité n’a pas enregistré un seul homicide. La bibliothèque Afrânio Godoy y a été aménagée. Elle accueille en moyenne 250 personnes par jour. Le centre d’une superficie de 850 m² compte environ 15.000 livres dans sa collection.
Le principal défi identifié par le Secrétaire à la sécurité urbaine concernant la continuité du projet Compaz est qu’il n’existe aucune loi ou politique publique pour le soutenir. Comme il s’agit d’une initiative gouvernementale, sa subsistance est liée à la permanence de la gestion.
Les résultats observés sont la réduction de la violence, le renforcement de la citoyenneté et des opportunités pour des milliers de jeunes de la périphérie. En outre, le projet a remporté deux prix en 2019 : le prix des villes durables, organisé par Oxfam Brésil, et le prix de l’efficacité du service public, organisé par les Nations Unies.
“Mr Murilo est venu 39 fois à Medellín. En mars, nous avons lancé un livre sur l’apprentissage entre les deux villes”, explique J. Melguizo, qui accompagne le projet de réalisation des cinquième et sixième Compaz.
Le projet UTOPÍAS à Itzapalapa a vu le jour après la visite de la maire Clara Brugada à Medellin.
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Les UTOPÍAS d’Iztapalapa
La municipalité d’Iztapalapa à Mexico s’est également inspirée de l’expérience de Medellin et a développé le projet UTOPÍAS, un acronyme pour les Unités de transformation et d’organisation pour l’inclusion et l’harmonie sociale (Unidades de Transformación y Organización para la Inclusión y la Armonía Social). L’initiative consiste en l’aménagement de grands espaces culturels et récréatifs destinés à combattre la violence et les inégalités par la culture. Il existe dix UTOPÍAS en activité, où des milliers de jeunes viennent chaque jour apprendre le théâtre, la photographie, la musique, les peintures murales, la boxe, l’athlétisme, la natation, etc…
L’unité est située au centre de la Plaza Cívica General Álvaro, à l’intérieur d’un Boeing 737-200 qui a été rénové pour offrir 29 espaces de lecture, un cockpit de simulateur de vol semi-professionnel avec deux sièges et des ordinateurs dans lesquels ont été téléchargés des livres en version électronique.
Le prochain centre sera le bateau-bibliothèque qui consistera en un ensemble culturel, éducatif et récréatif en forme de bateau. Il comprendra, entre autres, un aquarium virtuel interactif, des écoles de graphisme, d’animation et de création musicale numériques, un simulateur de navigation à voile et accueillera le premier musée sur le changement climatique dans la ville de Mexico, entre autres attractions.
Le projet de bateau-bibliothèque à Itzapalapa : il y aura une école de graphisme, d’animation et de création musicale numériques et un musée du changement climatique
Peu après la prise de fonction de Clara Brugada comme maire d’Iztapalapa, J. Melguizo a dirigé un atelier à la mairie. En 2018, Clara Brugada s’est rendue à Medellin pour s’informer sur les nouveaux projets. « Le concept qu’elle a retenu était de générer des espaces publics culturels, éducatifs, environnementaux et symboliques dans les quartiers de pauvreté et de violence maximales. En parallèle, elle a proposé de tracer des sentiers réservés aux femmes afin qu’elles se déplacent librement et en sécurité», explique J. Melguizo.
Le consultant rapporte que dans la municipalité mexicaine, ont été inaugurés 182 sentiers de ce type avec éclairage, vidéosurveillance et boutons d’urgence, entourés de peintures murales: «Ils en ont fait une par semaine. Nous pouvons enfin parler de communautés libres et sûres. Il y a quelque temps, je me suis rendu avec des fonctionnaires de Recife pour voir ce projet. Je pense qu’Iztapalapa a dépassé Medellin».
Florencia Tuchin
Auteur (Traduit par Claudia OUDET )