Un président acculé
La situation politique et sociale du Pérou prend un tour inattendu le 7 décembre 2022 lorsque Pedro Castillo, menacé de destitution pour incapacité morale, annonce qu‘il va dissoudre le Congrès. Cette action a été perçue comme une tentative de coup d’État manquée, ce qui a conduit les autorités à emprisonner le président de l’époque.
À cela s’ajoutent les accusations de longue date portées contre le président, comme le trafic d’influence au sein des FAP (Forces armées péruviennes) ou l’attribution d’appels d’offres et de marchés de travaux publics de manière dirigée, entre autres. Tout ce contexte a fait que la présidence de courte durée de Castillo a été marquée par l’instabilité.
Pedro Castillo © Presidencia Perú
Un mécontentement populaire
Après la chute de Castillo, Dina Boluarte, sa vice-présidente, a pris le relais légitimement selon la constitution, mais la légitimité du peuple péruvien n’était pas gagnée. Après la prise de pouvoir de sa coprésidente, et ses ambitions de rester en poste, Castillo a traité Boluarte de « traîtresse », car elle avait annoncé que s’il quittait le gouvernement, elle le suivrait.
Dans les régions du Sud, également appelées « Pérou profond », le mécontentement populaire s’est fait sentir et les manifestations et affrontements avec la police se sont multipliés, faisant jusqu’à présent 60 morts. De nombreux manifestants se sont rendus à Lima, la capitale, pour protester devant le Palais du gouvernement.
60 % des habitants des zones rurales soutiennent les protestations, contre seulement 40 % des habitants de Lima.
Dina Boluarte en compagnie du maire de Machu Picchu © Presidencia Perù
Six présidents mis en cause
Pour comprendre la situation actuelle au Pérou, il faut avoir une vue d’ensemble de toutes les différentes crises politiques qui ont conduit le pays à ce point de rupture. La corruption est le plus gros problème du Pérou, les élections présidentielles n’ont pas pour but de désigner le meilleur candidat mais le « moins pire ». On s’attend d’emblée à ce que les politiciens soient corrompus.
Les dix derniers présidents du Pérou, à l’exception de Paniagua et Sagasti, ont été emprisonnés ou inculpés. Le dernier président élu était Pedro Pablo Kuczynski (PPK), en 2016. Des présidents intermittents se succédèrent ensuite jusqu’à l’élection de Castillo, en 2021.
PPK a démissionné en raison de ses implications avec Odebrecht, la société de construction brésilienne qui a soudoyé plusieurs présidents d’Amérique latine pour obtenir des appels d’offres pour de grands travaux sur le continent.
Pedro Pablo Kuczynski
La valse des présidents
Il est suivi par Marin Vizcarra, lui-même révoqué pour corruption au cours de son mandat de gouverneur régional de Moquegua, pour avoir reçu des pots-de-vin de la société de construction Obrainsa et Astaldi. Lorsque Vizcarra est révoqué, Manuel Merino prend la présidence, mais sans un soutien populaire et avec de fortes protestations, il ne reste au pouvoir que pendant six jours.
Le président provisoire fut donc Sagasti jusqu’aux nouvelles élections remportées par Pedro Castillo. Son élection a surpris tout le monde ; le professeur syndicaliste, un « outsider » de la politique péruvienne fut élu comme président du Pérou, mais il n’a pas échappé aux réseaux de corruption dans lesquels ses prédécesseurs étaient tombés.
Manuel Merino © Presidencia Perù
Une crise politique et sociale
Ainsi, le malaise et la méfiance populaire ne sont pas quelque chose de nouveau, et à cela s’ajoute la centralisation dans la capitale de Lima. De nombreuses régions dénoncent un abandon de la part de l’État. Cela peut être vu par la polarisation de la société, où le racisme et le classisme ne sont pas nouveaux.
Entre les années 1980 et 2000, ce fut l’époque du terrorisme, où le Sentier lumineux, d’inspiration maoïste-léniniste, a semé la terreur au Pérou, dans le but d’établir un nouveau gouvernement. Il s’opposait à ce qu’il appelait un « gouvernement de bourgeois » et dénonçait les inégalités sociales entre les habitants de la capitale et ceux des Andes.
Pendant plus de vingt ans, les partisans du Sentier lumineux et les forces gouvernementales se sont affrontés, en particulier dans la région d’Ayacucho. La violence exercée par l’État péruvien pour lutter contre le terrorisme a causé beaucoup de polémiques car de nombreux innocents ont été affectés.
On l’a vu, cette crise politique et sociale dure depuis de nombreuses années. À ce jour, l’ancien président Pedro Castillo est détenu et attend le verdict quant aux accusations constitutionnelles portées contre lui.
Le Palais du Gouvernement à Lima © motoperu
Des exigences citoyennes
Qu’est-ce que les Péruviens demandent concrètement maintenant ?
Dans un premier temps, Dina Boluarte a affirmé qu’elle resterait au pouvoir jusqu’en 2026, date de la fin du mandat de Castillo, ce qui n’a fait qu’exacerber le mécontentement populaire. Pour l’instant, il est entendu que les prochaines élections auront lieu en avril 2024, bien que de nombreux partis demandent d’avancer la date au mois d’octobre 2023.
Les manifestants réclament également une assemblée constituante où les citoyens seraient entendus et donneraient leur avis sur l’élaboration d’une nouvelle constitution.
L’instabilité politique n’est pas une nouveauté en Amérique latine, mais ce mouvement montre que les Péruviens en ont assez des élites politiques et des sales jeux de la politique. Cela ne veut pas dire qu’il sera facile de gagner la confiance de la population envers le gouvernement et de résoudre tous les problèmes sociaux, politiques et économiques auxquels le Pérou est confronté, ni que cela pourra se faire du jour au lendemain.
Il faut procéder à un changement radical et structurel de la politique péruvienne, où les différentes parties prenantes ont des idéaux complètement opposés.
Banderole politique sur les hauteurs de Lima © CiLLicht
De nécessaires changements
Vers un dialogue pacifié ?
Nayra Palacios
autrice
Traduction : Claudia Oudet