Sonia Berrakama
Sonia Berrakama est professeure agrégée d’espagnol spécialisée dans les études latino-américaines et enseigne actuellement à Sciences Po Grenoble et à l’Université Grenoble Alpes. Sa passion pour la langue espagnole et les cultures hispaniques va la conduire à faire une licence en Langues Étrangères Appliquées à l’Université d’Aix-Marseille puis à rejoindre le master Amérique latine de Sciences po Grenoble. Sonia est toujours désireuse de découvrir de nouvelles cultures, elle a vécu plusieurs années en Amérique latine, notamment en Amérique Centrale. De retour en France elle décide de passer l’agrégation externe d’espagnol afin de pouvoir transmettre sa passion pour la langue, ainsi que l’Histoire et la culture des pays hispaniques aux étudiants. Elle animera les ateliers de conversation en espagnol de El Café Latino à partir du 6 mai prochain.
Tu es née et tu as grandi à Marseille, mais à partir de quel événement spécifique commences-tu à t’intéresser à la langue espagnole et aux cultures hispaniques?
Effectivement, je suis née et j’ai grandi à Marseille. J’ai fait mes études là-bas jusqu’à mes 20 ans avant de venir à Grenoble et il y a eu en effet un événement particulier qui m’a vraiment fait me passionner pour cette langue et sa culture : un professeur d’espagnol que j’ai eu en quatrième, Monsieur Soto. Il m’a fait vraiment me passionner pour cette langue, j’étais très douée. Dès le départ ça a été très simple pour moi de me plonger dans la langue et dans la culture parce que c’est devenu vraiment une passion. Celui-ci a été l’élément déclencheur de cette passion, sachant que je n’ai pas du tout d’origines espagnoles ou latino, ça s’est tout à fait fait naturellement.
C’est donc vraiment à travers ce professeur que la passion te vient? Ça n’a rien à voir avec des hispanophones que tu aurais pu rencontrer à Marseille éventuellement?
À l’époque je n’en avais pas vraiment rencontré, j’avais 13-14 ans donc je n’avais pas eu l’occasion. Il n’y a pas tant d’hispanophones à Marseille, on a quelques espagnols parce que c’est à côté, mais pas tant que ça. Par contre dans la ville où je suis actuellement, Grenoble, il y a énormément de latinoaméricains. Grenoble, pendant les années des dictatures latinoaméricaines (1970-1980-1990), a été une terre d’accueil pour tous les réfugiés latinoaméricains. On a d’abord eu, en 1993, les chiliens, après le coup d’état d’Augusto Pinochet contre Salvador Allende. Et puis on a eu les argentins et les uruguayens qui ont suivi avec les coups d’État qui ont eu lieu dans leurs pays. Donc on a commencé à ouvrir des centres d’hébergement, on les a aidés dans leurs démarches administratives. Et aujourd’hui du coup on a une grosse communauté latinoaméricaine à Grenoble, c’est très vivant à ce niveau là, ils se sont un peu tous regroupés dans des associations de solidarité latinoaméricaine et ils organisent très souvent des évènements par rapport à la mémoire, la justice, par rapport à cette période de dictature. Mais aussi des choses un peu plus actuelles, par exemple on a récemment organisé une exposition autour des mobilisations sociales au Chili, de l’effervescence populaire qu’il y avait eu en 2019. C’est donc assez vivant, c’est aussi pour ça que j’aime beaucoup cette ville.
Et au moment où tu commences à t’intéresser à tout ça, c’est la langue en général qui t’intéresse ou y a-t-il un pays qui capte particulièrement ton attention?
Au début, quand j’ai commencé la langue au collège, c’était vraiment l’Espagne qui m’intéressait. Et après, quand j’ai commencé mes études supérieures, j’ai vite été très attirée par l’Amérique Latine, spécialement l’Argentine. J’ai eu un gros coup de cœur pour l’Argentine. J’avais une connaissance à l’Université, qui faisait un échange universitaire et qui venait de Buenos Aires et me parlait de ses quartiers, de l’effervescence qu’on pouvait y trouver, du tango que les gens dansaient dans la rue. Enfin, elle m’a dressé un portrait de ce pays-là qui m’a fascinée, et j’ai absolument voulu y aller. J’y suis allée d’ailleurs par la suite, en Master.
En revenant à tes études, est-ce que le parcours L.E.A. (Langues Étrangères Appliquées) que tu as choisi, voyant que tu commençais à développer cette passion, correspondait à ce que tu attendais? Qu’est-ce que tu en as pensé?
Après le Bac, je n’arrivais pas vraiment à me projeter dans un métier particulier, donc j’ai vraiment fonctionné à l’affinité en termes de matières. Je savais que j’adorais l’espagnol et que je voulais absolument continuer cette langue, mais je ne savais pas exactement ce que je voulais faire avec. Je me disais qu’il allait me falloir une formation qui puisse m’ouvrir des portes vers l’international. Il y a deux licences qui peuvent être intéressantes à ce niveau là: L.E.A. (Langues Étrangères Appliquées), très branchée Histoire mais aussi Économie, Relations Internationales, Commerce… Et on a aussi la licence L.L.C.E. (Langue, Littérature et Civilisations Étrangères, mais qui est vraiment spécifique à la Littérature du siècle d’or… Donc à des choses qui donnaient moins d’ouverture en termes de secteur professionnel. J’ai donc vu que L.E.A. pouvait très bien me convenir et que je verrais à la suite ce que je voulais faire. Et oui, ça correspondait bien à ce dont je m’attendais parce que c’était très pluridisciplinaire. On avait un premier semestre qui était dédié à l’Espagne, puis un deuxième semestre à l’Amérique Latine. On travaillait sur l’Histoire, la langue, les diversités linguistiques, le lexique, on avait de la traduction… On avait aussi pas mal de professionnels qui venaient intervenir dans nos cours. Ce n’était pas mal parce que moi ça m’a permise aussi de voir un peu les métiers par lesquels j’étais attirée et ceux qui ne m’intéressaient pas du tout. Par exemple, on avait eu une intervenante qui était traductrice, et moi la traduction c’était un métier qui m’intéressait bien à la base. Et en fait cette dame traduisait des notices d’aspirateur, et je n’y avais pas pensé mais en effet il y a des gens qui traduisent des notices d’aspirateur, il y a bien des gens qui s’en occupent. Et c’est vrai que ça m’a un petit peu refroidie, donc j’ai décidé de me tourner plutôt vers l’humanitaire, qui était un secteur qui me plaisait beaucoup. C’est vrai que L.E.A. c’est bien pour les gens qui n’ont pas forcément d’idées de métiers précis mais qui sont intéressés par les langues parce que ça ouvre vraiment beaucoup de portes. J’ai des amis qui sont partis dans le commerce ou le droit international, d’autres qui travaillent actuellement en ambassade à l’étranger dans des pays hispanophones… Donc c’est très varié, c’est ça qui est intéressant dans cette licence, qu’elle est très pluridisciplinaire et diversifiée.
Et après tu t’es tournée vers l’humanitaire ? Qu’est-ce que tu as fait exactement?
Oui, en troisième année de L.E.A. on avait la possibilité de partir à l’étranger, donc je suis partie à Madrid, en Espagne, et j’ai travaillé dans une ONG qui s’appelle “Paz y Cooperación” et qui s’occupait d’encadrer des projets en Amérique Latine avec des subventions. Les projets étaient très axés sur le développement durable et l’humanitaire, par exemple installer des systèmes d’irrigation dans des contrées un petit peu lointaines. Donc on avait des équipes sur place et nous on travaillait depuis Madrid à l’encadrement des projets, à l’appel aux subventions, etc. J’ai réitéré ensuite l’expérience pendant mon Master j’ai travaillé à nouveau dans le milieu humanitaire, mais cette fois-ci plus axé sur le développement durable, au Costa Rica. C’est un milieu qui m’a plu mais j’étais beaucoup derrière mon bureau. Et moi j’avais besoin de contact, justement ce que je voulais dans l’humanitaire c’était d’être sur le terrain, et je me suis rendue compte que la plupart de gens qui y sont, ce sont des bénévoles, il y a très peu de gens rémunérés sur le terrain. Les gens rémunérés sont plutôt chefs de projet, ils restent au bureau pour encadrer tout ce qui est logistique, budget… Donc après j’ai décidé de changer un peu d’orientation pour retrouver du contact.
Tu as vécu au Costa Rica mais également en Argentine… Et dans d’autres pays? Pourrais-tu nous raconter un peu plus sur tes expériences en Amérique Latine?
Mon premier voyage en Amérique Latine s’est fait hors contexte universitaire, c’était avec ma grand-mère, grande routarde, qui a beaucoup voyagé et qui m’a emmenée faire mon premier pays en sac à dos: l’Équateur. On a traversé le pays et c’était magnifique, j’ai beaucoup aimé. Ensuite, dans un cadre beaucoup plus académique et pour une période plus longue, je suis allée en Argentine pour ma première année de Master lorsque je suis rentrée à Sciences Po, et j’ai vécu à Buenos Aires pendant huit mois. C’est un pays qui m’a beaucoup plu, dans lequel je me suis sentie bizarrement assez chez moi, par rapport à la culture, à l’accueil des gens. C’était très vivant, ça bougeait beaucoup, ça me ressemblait. Ensuite je suis partie pendant mon Master 2 au Costa Rica, j’y suis restée huit mois aussi et ça a été le gros coup de cœur. Ça a vraiment été le pays dans lequel je me suis sentie le plus chez moi et dans lequel j’aimerais retourner, ça me ferait très plaisir.
Pourquoi as-tu fait le choix de partir au Costa Rica?
À la base j’y suis allée parce que j’étais très intéressée par le thème du développement durable et le Costa Rica c’est un pays qui est très engagé dans tout ce qui est développement durable, protection de l’environnement et la biodiversité. Il faut savoir que c’est un pays qui a 5% de la biodiversité mondiale sur son territoire. C’est énorme, sachant que le pays fait quand même la taille de la région PACA, c’est vraiment pas très grand. C’est très impressionnant, très sauvage, et en termes de faune et flore c’est très riche, c’est principalement pour ça aussi que j’y suis allée. C’est un pays qui a 90% de son énergie qui est renouvelable, ils sont vraiment engagés dans des techniques énergétiques très propres et durables, je trouve que c’est vraiment un exemple sur ces questions-là. Sur place j’ai aussi rencontré des costariciens, qui sont des personnes tout à fait chaleureuses, accueillantes. Ils ont un slogan là bas qu’ils disent beaucoup, “Pura vida”, littéralement vie pure, c’est l’idée c’est de mener une vie simple, positive, dénuée de toute superficialité, de matérialisme. C’est des gens qui sont tout le temps heureux et sont très avenants avec les étrangers. J’ai donc beaucoup de bons souvenirs de ce pays-là et j’aimerais beaucoup y retourner.
En revanche, dans le cadre de ta licence tu es partie en Espagne. Savais-tu depuis le début de tes études que tu voudrais faire un Master spécialisé sur l’Amérique Latine? Ou c’est en partant à Madrid que tu as eu envie de découvrir aussi l’Amérique Latine?
Je ne le savais pas depuis le départ. Pendant mes études, j’ai vraiment fonctionné à court terme parce que je ne savais pas du tout ce que je voulais faire comme métier. À chaque fois c’était des secteurs d’activités un peu généraux qui m’intéressaient, ou des espaces géographiques justement, mais jamais un métier en particulier. C’est pour ça que j’ai un peu tâtonné et au final je m’en suis toujours à peu près bien sortie. Quand j’ai commencé ma licence je n’étais pas particulièrement attirée par l’Amérique Latine, j’adorais la langue et la culture hispanique et c’était tout. Mais avec les cours de Civilisations qu’on a eu sur l’Amérique Latine et à travers les latinoaméricains que j’ai rencontrés qui étaient en échange dans l’Université où j’étais, ça m’a vraiment donné envie d’y aller. Et quand j’ai cherché un Master à l’issue de ma licence, j’ai cherché spécifiquement des Masters axés sur l’Amérique Latine. Je ne cherchais pas une spécialité professionnelle, mais vraiment géographique. Et le Master de Sciences Po Grenoble proposait un axe “Sociologie de l’Amérique Latine” qui correspondait tout à fait avec ce que je voulais faire, avec en plus ces séjours à l’étranger d’assez longue durée, donc c’était très intéressant pour moi. Ça s’est fait petit à petit, c’est une réflexion qui a mûri tout le long de mes études, jusqu’à aujourd’hui. Il y a quelques années je ne me voyais pas prof par exemple.
Et à quel moment es-tu partie beaucoup plus sur le côté enseignement pour te décider à passer l’agrégation d’espagnol?
Pendant mon Master 2 au Costa Rica j’ai fait un stage dans une ONG spécialisée dans le développement durable. J’avais un poste très intéressant, j’étais cheffe de projet développement durable donc je suivais différents projets dont je mettais en place la logistique, mais je n’étais absolument pas sur le terrain, il me manquait vraiment cet esprit de contact. Le métier en soi était intéressant, on m’a proposé de rester là-bas, mais être dans un bureau derrière mon ordinateur, ça ne correspondait pas à ce que je cherchais. J’ai réfléchi, parce que je me disais que j’allais faire mon stage de Master 2 et j’allais être embauchée, mais le fait que mon stage ne m’ait pas plu m’a fait refaire tout le chemin dans ma tête. Je me suis posée les bonnes questions et j’ai vu que ce qui avait guidé ma formation depuis le début, c’était cette passion pour la langue espagnole, pour la culture hispanique, dans sa diversité, dans sa complexité, c’est des sujets qui m’ont toujours intéressée. Et j’ai vu que le meilleur moyen de continuer à vivre tout cela c’était de le transmettre. J’ai adoré mes études supérieures, ça a été une révélation. J’ai toujours été bonne élève au collège et au lycée, mais sans trop travailler, et mes études supérieures ont vraiment révélé ce qui était sous-jacent chez moi, et c’est devenu une vraie passion. J’ai aimé mes études et je me suis dite que je voulais rester dans ce système-là, je voulais rester à l’Université, pour pouvoir transmettre à mon tour cette passion-là à mes étudiants et pouvoir aussi les aider, les orienter, être dans une démarche d’accompagnement. Voilà comment j’en suis venue à passer l’agrégation. Je savais que je voulais me retrouver devant un public d’étudiants.
Quels sont tes sujets préférés? Tout ce qui est relatif à la langue ou les sujets un peu plus historiques? Qu’est ce que tu préfères transmettre?
Moi ce que j’adore, outre la langue bien sûr, c’est l’Histoire des pays latinoaméricains. Celle de l’Espagne est aussi intéressante, mais je suis quand même davantage spécialisée sur les études latinoaméricaines. L’Histoire, les Sciences Politiques, les périodes de dictature et l’organisation des mouvements de résistance m’intéressent énormément. Ce sont des sujets sur lesquels je travaille beaucoup avec mes étudiants, dans le cadre de projets externes avec des associations grenobloises. J’aime aussi toute la période du Chavisme , avec Hugo Chávez, et le mouvement qui s’est un peu déployé en Amérique Latine. Il y a aussi beaucoup de choses qui se passent actuellement en Amérique Latine et qui me passionnent. Mais je suis très axée Sciences Politiques, Sciences Sociales, il ne faut pas oublier que j’ai fait ce Master Amérique Latine à Sciences Po, donc j’ai quand même une formation spécifique en Sciences Politiques appliquées aux pays latinoaméricains.
À quel moment as-tu connu El Café Latino et comment as-tu commencé à collaborer avec le magazine?
J’ai connu el Café Latino pendant mes études. Pendant mon Master à Sciences Po on a eu, dans le cadre d’un projet de journalisme, une initiation avec un journaliste qui travaillait chez vous à l’époque, donc j’ai connu El Café Latino comme ça. On devait écrire un article sur un sujet, et j’avais choisi l’école des Pères-Noël au Brésil. C’était la période de crise économique au Brésil, où les formations pour être Père-Noël dans la rue, dans les centres commerciaux, etc, se multipliaient pour permettre de pallier la crise. L’article avait plu à l’équipe du café qui avait voulu le publier, donc j’avais été publiée dans la version papier du magazine et j’étais très fière. Ensuite j’ai continué mes études, j’ai voyagé, j’ai passé mon agrégation, j’ai fini par rentrer à Sciences Po Grenoble et là, en parlant un peu avec mes étudiants, j’ai vu qu’il y en avait beaucoup qui étaient intéressés par le journalisme. Et je me suis dit “ce serait bien que je recontacte ce magazine pour, à mon tour, monter un projet avec mes étudiants”. Et donc j’ai recontacté Roman pour lui proposer de travailler avec moi dans le cadre d’un projet de rédaction d’articles en espagnol, avec mes étudiants. Et c’est super, ça fait deux ans qu’on travaille comme ça, on échelonne la publication des articles, il y en a deux qui sont publiés par mois, beaucoup plus dans la version numérique du magazine cette année, du fait de la situation sanitaire. J’aime beaucoup faire intervenir des gens issus du monde professionnel dans mes cours, les mettre en contact avec des étudiants, parce que moi je me rends compte que j’ai gardé de super contacts de cette époque, qui me servent aujourd’hui, que je peux réutiliser dans mon environnement professionnel, et c’est exactement ce que je veux recréer chez mes étudiants, donc je suis ravie de pouvoir travailler avec vous.
Nous commencerons bientôt des ateliers de conversation en espagnol de plusieurs niveaux différents. Est-ce que tu pourrais nous raconter un peu plus en détail ce que nous pourrons retrouver dans ces ateliers?
L’idée c’est vraiment de pratiquer la langue orale, d’améliorer ses compétences orales. En France on a souvent cette peur de l’erreur, qui fait qu’on préfère ne pas parler une langue étrangère. C’est exactement ce que j’essaie de désamorcer dans mes cours, c’est pour ça que j’ai bien insisté pour qu’on appelle cette activité “ateliers”et non pas cours. Parce que l’idée c’est vraiment d’échanger, de communiquer, autour de sujets divers en lien avec l’Amérique latine bien entendu, l’Histoire, la Culture. L’idée c’est aussi de faire intervenir des natifs, j’aimerais confronter les participants à la diversité des accents, il y aura donc plusieurs natifs latinoaméricains qui viendront intervenir dans les cours, qui nous parleront de leurs pays, avec lesquels on pourra échanger. Mais l’idée c’est vraiment de pouvoir communiquer en espagnol le plus possible, dans l’idée de recréer une espèce de voyage, digital pour le coup, de laisser de côté tout ce qui est timidité, grammaire, conjugaison, et de se lancer pour pouvoir progresser le plus possible, parce que c’est en pratiquant que l’on progresse. On a ciblé plusieurs objectifs. C’est un atelier de quatre semaines avec des séances de deux heures chaque semaine, et à l’issue des ateliers, l’idée est que chacun des participants puisse, à travers des tâches contextualisées qui auront été pratiquées pendant les séances, faire face à toutes les situations qu’il est possible de rencontrer à l’étranger, dans un pays hispanophone. La priorité c’est de leur faire acquérir la capacité de prendre part dans une conversation avec un natif, d’où l’intérêt de faire intervenir d’autres personnes. Il y aura tout un travail sur le lexique, la prononciation, la spontanéité, donc sur tous les axes de la compréhension orale, qui vont être privilégiés. Ça va être des moments d’échange principalement, sur des sujets en lien avec la culture latinoaméricaine.
Il y a donc vraiment un objectif de mener les gens à se relaxer lorsqu’ils parlent en espagnol, à pouvoir parler de façon plus fluide, et ne pas être perdus en arrivant dans un pays hispanophone…
Tout à fait. Ça fait un moment que j’enseigne et je vois mes étudiants, et quelque chose que j’essaie de faire dans mes cours c’est laisser de côté cette culture de l’erreur très française. Et je vois le retour de mes étudiants qui me disent “Merci madame, parce que maintenant j’arrive à parler espagnol sans être stressé(e), je n’ai plus peur de m’exprimer”, et en fait ça commence par là. Tout ce qui est grammaire, conjugaison, ça vient après, le principe de base c’est parler et c’est vraiment ce que je veux essayer de mettre en place. Je vois que ça fonctionne avec mes étudiants et je pense que c’est vraiment la demande principale aujourd’hui dans les langues. Même dans l’Education Nationale on est en train de transformer tout ce côté d’apprentissage linguistique qui n’est plus du tout adapté. Nous, on a connu des cours très carrés, apprendre ses verbes, sa grammaire, des choses très théoriques qui n’ont aujourd’hui plus lieu d’être. Puisque la langue c’est avant tout, et on a tendance à l’oublier, un outil de communication qui doit nous servir à transmettre un message, à nous faire comprendre et à comprendre en retour.
Sur le site de El Café Latino, il y a toute l’information détaillée. Utilises-tu des techniques particulières pour que les élèves arrêtent de se bloquer et commencent à pouvoir communiquer, ou pour qu’ils retiennent mieux certains concepts?
J’ai développé certaines techniques. J’avance vraiment dans ma carrière de prof en essayant de me mettre le plus possible à la place de mes étudiants, en me demandant ce qui moi, m’a manquée en tant qu’étudiante. Par exemple, je suis beaucoup moins douée en anglais qu’en espagnol (rires), ce qui fait que je me pose ces questions-là: qu’est-ce qui m’a manquée en anglais pendant mon apprentissage ? Qu’est ce que j’aurais aimé avoir comme outil? C’est vraiment dans cette optique là que j’essaie d’avancer, et le problème qui revient le plus souvent c’est le manque de lexique. Les élèves sont souvent bloqués parce qu’ils n’ont pas assez de vocabulaire. Dans mon esprit, le manque de lexique ne doit pas être un frein à la communication. Je travaille beaucoup sur ce que l’on appelle les substituts lexicaux. L’idée c’est de leur donner en début d’heure une fiche de lexique avec quelques termes, quelques verbes, quelques noms, quelques expressions en lien avec la thématique qu’on va étudier. C’est une fiche outil qui va les aider justement à mobiliser le lexique nécessaire pour pouvoir s’exprimer. C’est donc déjà un premier outil qui les rassure, parce qu’ils ont leur feuille avec eux. Ce que j’aime aussi beaucoup faire c’est des petits jeux de lexique en fin de cours, on écrit du vocabulaire sur des papiers, je leur fait tirer au sort un papier et la personne qui a tiré le mot doit faire deviner à la classe de quoi il s’agit en donnant une définition en espagnol, ce qui n’est pas forcément simple en fonction des mots, mais ça permet de leur faire mobiliser énormément de vocabulaire. Le plus important c’est qu’ils utilisent ces mots en contexte. On avait tendance à mon époque à apprendre beaucoup de vocabulaire de façon complètement décontextualisée, et là je fais en sorte de créer des situations de communication réelles qui leur fassent mobiliser ce lexique thématique. J’essaie surtout de dédramatiser l’erreur. On a une culture de l’erreur assez importante en France, donc quand on est dans un échange, si on a un étudiant qui est très intéressé par le sujet et a envie de s’exprimer, dès qu’il commence à parler, même s’il fait une erreur sur un accord, sur un verbe, je ne vais pas intervenir, je le laisse vraiment aller au bout de son idée. Ce n’est qu’à la fin que je vais peut-être marquer la phrase au tableau, demander aux autres ce qu’ils en pensent, que quelqu’un l’aide à corriger éventuellement, ou essayer de faire en sorte qu’il se corrige lui-même. Mais il y a vraiment un temps pour l’échange et pour l’expression et un temps pour la correction. Moi j’ai le souvenir de certains profs d’anglais qui, à chaque fois que je faisais une erreur me coupaient, du coup je n’avais pas du tout envie de parler parce que ça ne m’intéressait plus, j’avais déjà fait un gros effort pour essayer de vaincre ma timidité et ma peur de me tromper. Stigmatiser l’erreur comme ça c’est une très mauvaise idée. J’essaie aussi de diversifier au maximum les supports: écrits, oraux, ça peut être des textes, des articles, des extraits d’interviews, de films, de romans. J’essaie de diversifier parce qu’il y a des étudiants qui vont être plus à l’aise avec l’écrit, d’autres plus avec l’oral, et c’est très important de jongler sur les deux. Ça permet d’associer une certaine oralité à une certaine orthographe.
Et comment fais-tu pour aider les élèves avec la prononciation? Comment leur fais-tu faire certains sons espagnols qui n’existent pas en français comme le “JA” par exemple?
En ce qui concerne la “jota”, donc le “J”, ils n’ont en général pas beaucoup de difficultés parce qu’ils l’assimilent au “R” français, qui racle un petit peu. Par contre pour le “R” roulé, on a beaucoup de mal (rires). J’ai beaucoup de “R” français qui viennent s’immiscer dans la prononciation. Le conseil que je donne et que je trouve qui marche pas mal c’est de commencer en essayant de le remplacer par un “L”, on est quand même sur des sons qui sont assez proches et qui vont enclencher ce “R” roulé. Il y a aussi des jeux que j’aime bien faire quand il reste 5 minutes en fin de cours, qu’on appelle les “trabalenguas”, qui font vraiment travailler sur les sons. L’idée c’est de les faire tous participer le plus vite possible.
Que dirais-tu aux personnes qui ont encore des doutes pour s’inscrire aux ateliers d’espagnol de El Café Latino?
Je leur dirais “venez nombreux, plus on est de fous plus on rit” (rires). Non, plus sérieusement, ça va être l’occasion de pratiquer la langue orale, de découvrir de nouvelles cultures des pays différents, d’échanger aussi avec des natifs, et tout ça dans un contexte informel, sous forme d’atelier. Donc j’espère vous voir nombreux!
J’aimerais revenir sur un autre projet commun que nous n’avons pas encore annoncé officiellement, un projet de El Café Latino dans le cadre de la semaine de l’Amérique Latine et des Caraïbes qui s’organise chaque année fin mai / début juin. Est-ce que tu pourrais nous parler un peu plus de ton intervention dans le cadre de ce projet?
Je vais intervenir dans le cadre d’une présentation sur le thème “Langues et cultures”. L’idée c’est de montrer qu’il n’y a pas une seule langue espagnole mais plusieurs, qui ont chacune leur histoire, leur lexique, leur accent, et donc d’insister vraiment sur la diversité et la richesse de la langue espagnole et des cultures hispaniques. Les pays latinoaméricains par exemple, sont tous très marqués par des termes de dialecte indigène qui ont été mixés à l’espagnol, donc ça donne des choses très éclectiques, très intéressantes au niveau linguistique. On va aussi beaucoup se concentrer sur l’écoute de plusieurs accents, on va essayer de les différencier, de les associer parfois. Et il y aura toute une partie sur l’Histoire de la langue espagnole, on reviendra sur les principaux évènements qui ont fait qu’aujourd’hui on se retrouve avec tant de diversité et de richesse dans cette langue, grâce à une histoire très complexe et passionnante. Je souhaite pouvoir transmettre ça à nos participants qui, je l’espère, seront nombreux. On aura aussi un petit quizz sur le contenu de ce qu’on aura vu, et il y aura un cadeau à gagner, donc il y a aussi un petit côté attractif à ce niveau-là.
Aimerais-tu dire quelque chose d’autre avant la fin de l’entretien?
Je voulais vous dire merci, je suis vraiment ravie d’avoir pu participer à cette interview et aux activités de El Café Latino, ça me tient vraiment à coeur. J’espère vous voir nombreux pour les ateliers de conversation et pour la semaine de l’Amérique Latine et des Caraïbes.
Vous pourrez retrouver la version filmée de cet interview ici.
El Café Latino
propos recueillis par Clara de Castro Casanueva