© Arturo Rivera, Unsplash – Vendeur de rue à Antigua Guatemala, Guatemala
GARCIA Julia, étudiante de troisième année à Sciences Po Grenoble et FAGES GALERA Emma étudiante de troisième année à Sciences Po Grenoble
Sous la direction de BERRAKAMA Sonia, professeure agrégée d’espagnol à Sciences Po Grenoble
Ils font partie du paysage : que ce soit dans les rues, dans les marchés, ou dans les transports, les vendeurs ambulants sont un élément à part entière de la vie quotidienne en Amérique Latine. Ils viennent de toutes parts, et leur commerce est souvent une planche de salut face à la crise et au chômage. De figures de l’ombre, ils deviennent de véritables sauveurs pour les acheteurs. En effet, la vente ambulante présente de nombreux avantages avec lesquels les marchés traditionnels ont du mal à rivaliser : proximité, horaires, offre disponible… ce qui n’est pas sans poser problème. Qu’on la conçoive comme un vecteur de conflit ou de cohésion sociale, la vente ambulante reflète la résilience, la créativité et la diversité de la société latinoaméricaine.
Panorama de la vente ambulante en Amérique Latine
La vente ambulante inclut une grande pluralité de pratiques en Amérique Latine. Elle peut être tantôt légale, tantôt illégale, et les produits vendus sont de natures diverses. Alors que certains vendeurs sont spécialisés dans un seul type de marchandises, d’autres proposent une plus grande variété qui peut s’étendre de la nourriture aux objets de contrebande, en passant par les biens artisanaux, électroniques, les vêtements ou encore les souvenirs. Au Mexique, on les entend venir sur leurs tricycles, annonçant à la volée les offres du jour.
Ils sont appelés « canillitas » au Pérou, « camelos » au Brésil, « manteros » en Argentine : autant de qualificatifs pour décrire un phénomène qui fait partie du paysage régional.
© holgs – Vendeurs de rue à Cuzco, Pérou
Motifs et obstacles qui conditionnent la vente ambulante
Cette hétérogénéité qui caractérise la vente ambulante reflète la diversité culturelle des travailleurs. La pratique de la vente en elle-même relève d’une longue tradition culturelle, depuis les débuts de la conquête espagnole avec les « pregones ». Cependant, c’est aussi un phénomène d’actualité qui constitue une réponse aux maux socio-économiques affectant la région aujourd’hui. Les crises politiques et économiques, dont les manifestations principales sont le chômage et la précarité, poussent ainsi les migrants en fuite à créer leurs propres opportunités d’emploi dans la vente ambulante. C’est ainsi qu’après l’intensification de la crise au Venezuela en 2018, on a pu constater une grande augmentation de la part des vénézuéliens dans le nombre total de vendeurs ambulants dans les pays alentours. Par exemple, ils étaient 3000 en Equateur, et jusqu’à 425 000 à travailler de manière informelle en Colombie en 2018. A ces migrations extérieures viennent s’ajouter les migrations des travailleurs des zones rurales vers les zones urbaines, et toutes font gonfler le secteur de la vente informelle dans les villes. La facilité d’entrée sur le marché informel en fait également une échappatoire pour les plus jeunes : les vendeurs peuvent être des adolescents qui se mobilisent pour soutenir leurs familles.
De fait, dans la région latinoaméricaine, l’informalité affecte davantage les peuples indigènes, les afro-descendants, les femmes et les jeunes. La vente ambulante peut donc illustrer la résistance d’une partie de la société latinoaméricaine face aux défis contemporains. Seulement, l’afflux de travailleurs n’est pas sans poser problème.
© ClaudineVM – Vendeur ambulant de fruits et de boissons à Carthagène des Indes, Colombie
Conflits d’intérêts et résistances
Pour éviter des situations de monopole de la part des vendeurs ambulants et la concurrence déloyale faite aux commerçants légalement constitués, les autorités peuvent mettre en place des programmes de relocalisation. Bien que ces plans ne réussissent pas vraiment à « réorganiser les rues du centre-ville » en particulier au Pérou, les vendeurs ambulants qui travaillent principalement dans le centre-ville et qui sont en première ligne de mire de ces politiques gouvernementales, manifestent pour alerter sur leur situation vulnérable. En plus d’être obligés de travailler dans le secteur informel, ils subissent des expulsions parfois violentes et des transferts vers d’autres parties de la ville, qui tendent à les supprimer.
La pauvreté et les inégalités économiques comportent un autre risque professionnel pour les vendeurs de rue. Considérés comme des travailleurs du secteur de l’économie informelle, d’après la déléguée régionale de l’Organisation Internationale du Travail en 2022, ils sont entre trois et quatre fois plus susceptibles de devenir pauvres que les travailleurs du secteur de l’économie formelle. Et ces inégalités peuvent s’observer à plus large échelle, puisque les vendeurs ambulants, œuvrant dans des conditions informelles, représentent 50% des travailleurs en Amérique Latine. Plus récemment, la crise du COVID-19 a souligné la situation de vulnérabilité des travailleurs du secteur informel, avec des rues désertées, les obligeant à fermer leurs commerces ou à se réinventer.
© Susan Vineyard – Stand ambulant à Progreso, Yucatan
Que représentent actuellement les vendeurs ambulants et quelles sont leurs perspectives d’avenir?
Entre stigmatisation de la part des commerces légalement installés et manque de considération de la part des gouvernements, les vendeurs ambulants en Amérique Latine, participent néanmoins à cette dynamique régionale typique tout en faisant corps avec le paysage quotidien. D’une part, ils permettent aux consommateurs d’accéder à une large gamme de produits pour des prix très bon marché; d’autre part, ils créent une atmosphère authentique propre aux places et rues aux quatre coins du continent.
Il serait néanmoins essentiel que les gouvernements intègrent des programmes de protection des travailleurs de l’économie informelle et notamment des vendeurs ambulants, afin de prévenir des situations de précarité économique et de leur assurer des conditions de vie décentes. De même qu’il serait nécessaire que leurs revendications puissent être écoutées, qu’il soient intégrés socialement et que le gouvernement les considèrent comme des citoyens, pour éviter d’aggraver leur situation de vulnérabilité.
© Bartosz Hadyniak – Femme péruvienne vendant des objets artisanaux
GARCIA Julia et FAGES GALERA Emma
Etudiantes de troisième année à Sciences Po Grenoble