Martial Sinda, premier poète de l’AEF
Martial Sinda est le premier poète de l’Afrique Équatoriale française [Moyen-Congo, Tchad, Gabon, Oubangui-Chari (aujourd’hui Centrafrique)]. En 1955, il publie « Premier chant du départ » aux éditions Seghers. L’éditeur français des poètes par excellence. Il appartient au mouvement poétique de la Négritude. Son recueil de poèmes rencontre un succès de librairie. Il est réédité en 1956. La même année il est lauréat du Grand Prix Littéraire de l’Afrique Équatoriale française. Ce prix destiné aux écrivains coloniaux est remis pour la première fois à un Noir. Nous sommes à l’époque coloniale en Afrique francophone.
Gaston Deferre, ministre de la France d’Outremer félicitant le jeune poète Martial Sinda, Grand Prix Littéraire de l’AEF en 1956
Les mouvements culturels de dignité de l’homme noir : Paris, New York, la Havane, Rio de Janeiro
Partout dans le monde les Afro-descendants déportés lors de la traite négrière et de l’esclavage sont victimes de racisme, de ségrégation et d’apartheid. Des mouvements d’intellectuels et d’artistes noirs et métissés voient le jour pour clamer la dignité de l’homme noir et de sa culture. Ces mouvements sont : francographe, anglographe, hispanographe, lusographe.
Nous allons en faire une rapide esquisse d’ensemble.
La Négritude à Paris avec pour premier manifeste « Batouala, véritable roman nègre » de René Maran, Prix Goncourt 1921, éditions Albin Michel (Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, Birago Diop, Bernard Dadié, Paulin Joachim, Annette Mbaye d’Erneville, Martial Sinda…) ; le Négrisme en Amérique latine avec pour premier manifeste « Los Negros brujos » de Fernando Ortiz Fernández, 1906 ( Emilio Ballagas, Nicolas Guillén, José Zacarías Tallet, Ramón Guirao à Cuba, Luis Palés Matos à Portorico, Antonio Olinto au Brésil,…), la Harlem Renaissance à New-York avec pour manifeste « The New Negro » d’Alain Lock éditions Albert and Charles Boni, 1925 (Langston Hugues, Countee Cullen, Wallace Thurmann, Dorothy West, Arna Bomtemps, Jean Toumer…) ; l’Indigénisme en Haïti avec pour manifeste « Ainsi parla l’oncle de Prince Mars », imprimerie Compiègne, 1928 (Jean Prince Mars, Jacques Roumain, Philippe Thoby Marcelin, Jean-Baptiste Cinéas…).
Senghor, premier poète de l’AOF, et Martial Sinda, premier poète de l’AEF
Réédition de « Premier chant du départ » de Martial Sinda, chez Orphie en mars 2025
Pour commémorer le 70e anniversaire de la publication du « Premier chant du départ » de Martial Sinda publié chez Seghers le 15 juin 1955, les éditions Orphie l’ont réédité en mars 2025 en version augmentée. La version originelle inscrite dans la collection « PS » année 1955 et « PS » année 1956 de Pierre Seghers comptait 60 pages pour satisfaire aux normes de la collection. Publié chez Orphie hors collection, Martial Sinda – devenu professeur honoraire en histoire contemporaine à la Sorbonne –, y a ajouté 36 poèmes d’époque « sauvés du feu ». La nouvelle version du recueil comporte 204 pages. On notera que certains poèmes ont été publiés dans des revues d’époques telles que Les lettres françaises et Les Cahiers Charles de Foucauld. On retrouve la même matrice que celle de l’édition originale. Celle-ci correspond aux deux thèmes majeurs « tradition et révolte » que l’on retrouve dans tous mouvements littéraires et culturels de dignité de l’homme noir (Négrisme, Négritude, Harlem Renaissance et Indigénisme). Le recueil est enrichi par une préface inédite de René Maran, par un avant-propos de l’auteur, par des photos et des coupures de presse d’époque, par un appendice autrefois essentiellement linguiste et sociologique et aujourd’hui à visées également historiques pour mettre le lecteur dans le contexte de l’époque coloniale.
« Premier chant du départ » de Martial Sinda réédité chez Orphie en mars 2025
Court extrait de « Premier chant du départ » de Martial Sinda
Tam-Tam, Tam-Tam-Toi
À René Maran
SILENCE,
Silence toujours.
Ne parlons plus.
Ne dansons plus.
Ne crions plus.
Car nous ne sommes pas libres.
Car nous ne sommes plus chez nous.
Ô Afrique de jadis !
Ô Afrique domptée !
Ô Afrique ohoéé ! notre Afrique.
Afrique,
Tam-tam, tam-tam-toi,
Sans cesse, tam-tam-toi,
Clochette, clochette-toi, toujours, toujours !
Afrique, pays de tristesse !
Afrique, pays de mauvais décors !
Afrique, pays de joies, de danses, de chansons !
Afrique, pays des pleurs et des plaintes…
[…]
Ô Armstrong, regarde cette Afrique qui dort,
Regarde cette Afrique qui ne bouge pas
Sans ta trompette, sans tes doux blues, sans ton jazz.
Tam-tam-toi, ohoée, notre Afrique !
[…]

Thierry Sinda
Maître de conférences des Universités françaises, poète, écrivain