© JYB Devot   –   Mausolées de Revash

A 400 kilomètres au nord de Lima, perché à plus de 3000 mètres d’altitude dans les Andes, se dresse Kuelap, l’impressionnante cité de la civilisation Chachapoya. Entre le VIIIe et le XVIe siècle, ces guerriers réputés sanguinaires, surnommés le « peuple des nuages », ont développé dans ces montagnes un culte complexe de la mort. Témoins de cette pratique singulière, d’énigmatiques sarcophages, véritables mausolées accrochés aux falaises, renferment des milliers de momies parfaitement conservées. Loin d’être uniquement des guerriers, ces habitants des montagnes étaient un peuple profondément attaché à leurs défunts et entretenaient un lien profond avec leurs ancêtres, pour qui la mort n’était pas une fin, mais une nouvelle étape de l’existence.

 

Les Chachapoyas : un peuple entre ciel et terre

© Martin St-Amant   –   Vue des murailles de Kuelap

Pendant trois siècles, Kuelap, la plus grande cité des Chachapoyas, a reposé, oubliée, engloutie par la forêt vierge. Redécouverte au XIXe siècle, elle s’est révélée aux yeux des premiers explorateurs comme une forteresse imprenable, perchée sur une crête rocheuse et protégée par une muraille colossale pouvant dépasser les 20 mètres de hauteur. Cette structure de pierres est l’une des plus grandes jamais bâtie en Amérique du Sud.

Pourtant, les dernières découvertes archéologiques ont bouleversé cette vision. Loin d’être une place forte, Kuelap était un lieu sacré, une nécropole où les Chachapoyas honoraient leurs ancêtres. Les ossements de milliers d’individus, transportés parfois de loin, ont été retrouvés enfouis dans les murs et les fondations de la cité. Kuelap, véritable cité des morts, était donc un lieu de pèlerinage où les Chachapoyas célébraient le cycle de la vie et de la mort.

Les Chachapoyas : un peuple entre ciel et terre

© Papiermond   –   Sarcophages de Karajía

A plusieurs heures de marche de Kuelap, à une centaine de mètres au-dessus du vide, nichées dans la falaise du Cerro El Tigre, reposent des sépultures chachapoyas. Ces sarcophages, dressés comme des sentinelles de pierre, semblent scruter l’horizon et veiller sur la vallée. Les Chachapoyas, en plaçant leurs morts sur ces hauteurs, leur permettaient de continuer à protéger leurs descendants, tels des gardiens. Tandis que d’autres cultures endorment leurs morts, les Chachapoyas, eux, les installent en position assise, perpétuant ainsi un lien entre les vivants et les ancêtres. Cette posture suggère une conception de la mort où les défunts demeurent présents et attentifs.

Ces tombeaux collectifs, accessibles par des ouvertures dépourvues de portes, abritaient les corps de plusieurs individus, soigneusement enveloppés et momifiés naturellement par le vent. Les Chachapoyas visitaient régulièrement ces lieux sacrés. Ces pratiques funéraires, traditionnelles des cultures andines, témoignent de croyances profondes en la pérennité des liens familiaux et de l’importance de communiquer avec les défunts.

Les Chachapoyas : un peuple entre ciel et terre

© JYB Devot   –   Mausolées de Revash

Pendant huit siècles, les Chachapoyas ont entretenu cette tradition. Même après avoir été conquis par les Incas, au XVe siècle, ils continuent à honorer leurs morts, adaptant leurs pratiques funéraires aux influences incaïques. En effet, la découverte des momies chachapoyas embaumées selon des techniques incaïques, révèle une évolution une fusion entre les traditions chachapoyas et incaïques, soulignant la capacité de ce peuple à s’adapter tout en préservant son identité.

Cependant, après l’arrivée des Espagnols au Pérou au XVIème siècle, les pratiques funéraires des Chachapoyas disparaissent peu à peu. Le « peuple des nuages », d’abord allié aux conquistadors contre les Incas, auraient probablement soufferts de maladies venues d’Europe, de déplacements forcés et de conflits. Les rites funéraires élaborés, qui avaient pendant des siècles lié les vivants aux morts, s’éteignent peu à peu et la civilisation chachapoya tombe dans l’oubli.

Hugo Bernamonti

Hugo Bernamonti