© Stills – Dear Renzo, Francisco Lezama
Le cinéaste argentin Francisco Lezama explore la relation entre l’économie et le comportement social dans ses courts métrages La novia de Frankenstein (la fiancée de Frankenstein) (2015), Dear Renzo (2016) et Un movimiento extraño (2024), qui sera bientôt présenté au MALBA (Musée d’art latino-américain de Buenos Aires). Avec un ton de comédie absurde, ses films dépeignent comment l’obsession du dollar divise la société argentine, abordant des thèmes de classe, crise économique et les fantasmes qui émergent à une époque d’incertitude.
Francisco Lezama
L’obsession argentine pour le dollar américain
Un movimiento extraño, lauréat de l’Ours d’or du meilleur court métrage à la 74e Berlinale, suit une agente de sécurité d’un musée qui a recours à un pendule spécial pour prédire l’avenir. Dans cet acte superstitieux, elle découvre une dévaluation brutale de la monnaie argentine. En se faisant licenciée de son travail, elle achète des dollars et double automatiquement son indemnité. Cette pratique devient une obsession étrange pour la protagoniste qui commence une relation avec un vendeur de devises de rue.
Le court métrage utilise la comédie de l’absurde pour explorer un phénomène profondément enraciné dans la culture argentine : l’obsession d’acheter des dollars. Cette fixation, qui s’intensifie en temps de crise économique, devient l’axe central des intrigues de Lezama, qui à travers ses personnages, dissèquent les tensions sociales et économiques qui émergent dans un pays où le dollar est synonyme de stabilité.
Lezama, cinéaste, chercheur et enseignant, a manifesté à plusieurs reprises son intérêt pour refléter les changements de comportement de ses personnages par rapport à la valeur du dollar. « C’est quelque chose que je travaille depuis mes précédents courts-métrages. J’aimais l’idée d’enregistrer les changements de comportement d’un personnage, comme le reflet des changements dans la valeur du dollar par rapport au peso », note-t-il, se référant à La Fiancée de Frankenstein et Dear Renzo. Ses travaux précédents montrent déjà son intérêt de capturer l’impact de la fluctuation du dollar sur la vie quotidienne des argentins, générant de l’anxiété et des comportements compulsifs.
Lezama montre comment la crise économique divise la société en deux groupes : ceux qui peuvent économiser des dollars et ceux qui peuvent à peine survivre. « J’ai voulu montrer comment une Argentine en crise divise la société en deux », affirme Lezama. Au travers de l’histoire de la garde qui se plonge dans une fantaisie romantique avec un « arbolito » (un petit arbre), une dénomination donnée à ceux qui proposent le commerce de devises de manière informelle sur la voie publique.
L’obsession du dollar, au-delà d’être un simple reflet de l’économie, devient Un mouvement étrange (Un movimiento extraño) dans une métaphore de la déconnexion de la réalité. La protagoniste, interprétée par Laila Maltz, qui, en acquérant des dollars, entre dans « une réalité parallèle », un fantasme qui contraste avec la dure réalité de ceux qui « doivent travailler sur des choses qu’ils n’aiment pas pour pouvoir joindre les deux bouts ».
© Stills – La novia de Frankenstein, Francisco Lezama
La comédie comme véhicule de la critique sociale
Le regard de Lezama n’est pas désinvolte. Le choix de la comédie comme genre de narration répond à sa capacité d’amalgamer l’absurde et le quotidien. « Souvent, la comédie me permet d’unir des idées dissemblables et dérangeantes et de parler de choses très différentes sans perdre l’élan narratif. On pourrait penser à « The General » de Buster Keaton, par exemple, comme une grande comédie sur la guerre civile », explique le cinéaste.
Ce genre, qui permet de traiter des éléments sociologiques, politiques et économiques dans une structure accessible et divertissante, devient l’outil idéal pour aborder la relation complexe des Argentins avec le dollar américain.
Lezama établit des parallèles avec les comédies argentines des années 30-40 qui, comme ses courts métrages, donnent à réfléchir sur les différences entre les classes sociales, tout en conservant un ton léger et populaire. À l’instar des films de Manuel Romero, qui « parvenaient à intégrer des éléments qui étaient au cœur des débats théoriques, sociologiques et intellectuels de l’Argentine », Un movimiento extraño s’inscrit dans cette tradition, utilisant l’humour pour démêler les dilemmes économiques du présent.
Affiche de Un movimiento extraño, Francisco Lezana
L’avenir du court métrage en temps de crise
Lezama réfléchit également à l’avenir du cinéma en Argentine, en particulier dans le contexte d’une crise économique et culturelle profonde qui affecte la production cinématographique. « Je pense qu’il sera de plus en plus difficile de produire des longs métrages dans la situation actuelle de l’INCAA (Institut national du cinéma et des arts audiovisuels). Se présente à nous l’opportunité d’utiliser les films comme moyen de résistance. Il ne sera pas possible de réaliser des longs métrages à cause de l’inflation, qui rend impossible le tournage de n’importe quelle œuvre à gros budget, donc il faudra faire des films beaucoup moins chers ou tout simplement des courts métrages et mettre en place un réseau de projection ». Il suggère ainsi que le court métrage pourrait redevenir un outil clé pour l’expression idéologique et politique en période de pénurie de ressources. L’idée de projeter Un movimiento extraño aux côtés des autres courts métrages au MALBA, un lieu où Lezama a travaillé pendant des années, symbolise son désir de maintenir la culture cinématographique vivante à travers des espaces qui favorisent le dialogue et la réflexion.
Un movimiento extraño nous invite ainsi à nous interroger sur les dynamiques économiques et sociales qui définissent le présent de l’Argentine.
Emiliano Basile
Journaliste et critique cinématographique
Traduction Claudia Oudet