Des bijoux nés d’une rencontre : c’est ce qu’a proposé l’Institut culturel du Mexique en octobre dernier. Sylvia Burgoa, artiste plasticienne mexicaine, rend, avec 22 compatriotes joailliers, hommage à un peuple de l’état de Sonora : les Comca’ac. Entre chants traditionnels, documentaires et ornements corporels : « Rostros Insumisos » est un voyage sensoriel vers le village des méconnus « Hommes du sable ».

« Rostros Insumisos », © Sylvia Burgoa (Bijou facial – Laiton doré)

REPORTAGE – Aux alentours de 10h dans la Rue de la Vieille du Temple, l’automne n’est pas au rendez-vous. Pas de feuilles mortes, pas de parapluie. Mais des rayons du soleil qui effleurent la peau et offrent une chaleur réconfortante et surprenante. Parmi les commerces et les cafés, un petit bout de Mexique se cache.

« Rostros Insumisos », un dialogue entre créateurs et ancêtres

Une porte fuchsia close sous les yeux. « Sonnez pour visiter l’exposition ». La sonnette retentit et en un tour de clef, la nation Comca’ac se présente. Rouge, blanc, bleu : chaque carré de murs est aux couleurs de leur histoire. A gauche, un mural de Julio Carrasco aux nuances de bleu datant d’une précédente exposition ; à droite, des colliers, des bracelets aux inventifs mélanges de matériaux accompagnés d’un court texte lyrique. Ces bijoux, soigneusement disposés sur les murs blancs, ont vu le jour grâce à Sylvia Burgoa.

"Rostros Insumisos", bien plus que des bijoux

« Essence », © Karen Marrun (Bracelet – Argent 925, palqué or jaune, 14 carats et filets de pêche), “Soy el mar y su recurso. Son el canto, el tejido y la greca. Son el desierto, la joya y el viento. Son los gigantes, la gente de arena. Son las usanzas del pasado, el presente y el futuro incierto.” (NDT : « Je suis la mer et son recours. Ils sont le chant, le tissage et la grecque. Ils sont les géants, les hommes du sable. Ils sont les usages du passé, le présent et le futur incertain »)

De l’Escuela de Bellas Artes d’Oaxaca à l’Ecole supérieure des arts appliqués Duperré, elle baigne dans les arts visuels et décoratifs. « La richesse d’une culture est une inspiration pour la mode et la création », affirme la joaillière en espagnol. Ces visages insoumis sont le fruit de la créativité 23 artistes joailliers mexicains. Parmi eux, la designeuse et directrice créative de Majorica, Karen Marrun. Fait de cuir teint en vert et d’argent 925, son collier « Temple » imite des feuilles de sauges liées entre elles « port[ant] le nom d’une femme dont les chants, les prières et les coutumes donnent une continuité et perpétuent le sacré », décrit-elle avec un texte nommé Sanctuaire scotché près de son œuvre. Mais ce n’est pas la seule pièce qui attire le regard sur les deux étages de l’institut.

"Rostros Insumisos", bien plus que des bijoux

« Temple », © Karen Marrun (Collier – Argent 925, cuir teint)

Une deuxième pièce et de nouveaux bijoux. En fond sonore, une histoire comca’ac tourne en boucle. Mais les diverses parures occupent toute l’attention. María Paula Amezcua brosse trois portraits synesthésiques d’une « Femme aux cheveux longs et aux ondulations sonores ». Créatrice de Joyas para el alma (NDT : Bijoux pour l’âme), elle décrit ses œuvres comme une femme « enveloppée dans les ondes sonores [des] chants anciens simples et profonds » du peuple Comca’ac. Deux d’entre elles mêlent des morceaux de bronze dorés et des fils de coton naturel bleus. Métaphore de la mer par excellence. « Rien n’est laissé au hasard ! », révèle Sylvia Burgoa.

"Rostros Insumisos", bien plus que des bijoux

Trilogie de colliers « Femme aux cheveux longs et aux ondulations sonores », © María Paula Amezcua (à gauche : bronze, coton naturel ; au centre : laiton, émail ; à droite : bronze, coton naturel)

Les Comca’ac, une nation riche de culture

Dans la deuxième pièce, Gabriela Badillo guide vers une autre facette des Hommes du sable.  Créatrice du projet non lucratif des Nations Unies 68 voces y 68 corazones (NDT : 68 voix et 68 cœurs), elle raconte en Cmiique iitom -langue maternelle des Comca’ac- la création de la Terre selon leurs croyances avec un court-métrage d’animation. Une tortue transportant sous ses nageoires le sable des profondeurs de l’océan jusqu’à la surface. Toutes les tortues aperçues dans la galerie reviennent en mémoire. Les récentes paroles de Sylvia prennent tout leur sens. « Cette exposition représente la beauté et la résilience du peuple Comca’ac », explique-t-elle, « un peuple qui ne s’est pas laissé dominer » à la venue des prêtres jésuites au XVIIe siècle.

"Rostros Insumisos", bien plus que des bijoux

« Le Présent », © Julia Ferreira (Collier – Argent 925, mono-filament textile, coquille d’œuf, papier, sable feuille d’or, résine)

A l’étage du dessus, une autre créatrice de visages insoumis admire les œuvres de ses confrères : Claudia Roa. Designeuse et fondatrice de REDSOUL, elle s’est rendue au village Punta Chueca dans l’état de Sonora. Entre chants rituels, ornements corporels et fêtes traditionnelles : chaque facette de leur mode de vie est illustrée à travers les bijoux. « C’était bien plus qu’une expérience ! », s’écrit-elle. Plongée dans ses souvenirs, l’impact qu’a eu ce voyage en tant qu’artiste et en tant que femme se lit dans son regard. Dans le texte accompagnant ses œuvres, Julia Ferreira décrit parfaitement les sentiments de Claudia. Ce sont « des femmes de sable, des collectionneuses qui ont toujours peint leur visage pour montrer leurs rêves. Elles tissent des coritas et, à chaque tour elles reflètent leurs origines et le temps qui passe tout en transmettant leur lutte à une nouvelle génération. Elles incarnent la continuité de la Nation » comca’ac.

"Rostros Insumisos", bien plus que des bijoux

« Identité », © Claudia Roa (Collier dorsal – laiton, argent, caoutchouc, jaspe, nacre, lapis-lazuli)

Néanmoins, clôture de l’exposition ne signifie pas fin du dialogue. « Le rêve ultime serait de vendre nos bijoux dans un musée au Mexique », dévoile Claudia le sourire aux lèvres.

Meylicia CAPRICE

Meylicia CAPRICE

Etudiante en mastère à l'ISFJ (Institut Supérieur de Formation au Journalisme)

Photos : de l’autrice