© Enrique Menacho 

Street Art et graffiti : regards croisés entre la Bolivie et la France

Dans les rues de Bolivie et dans les quartiers de France, le street art et le graffiti transcendent leur rôle de simples décorations murales pour devenir des voix puissantes, racontant des histoires et des récits. Pourtant, au-delà de leur potentiel expressif, ces formes d’art urbain soulèvent des questions fondamentales sur leur nature esthétique et leur rapport à l’engagement social. À travers les témoignages d’Ismael Arcani, artiste bolivien, et de Cart’1, artiste français, nous explorerons les nuances et les dynamiques qui façonnent ces formes d’expression urbaine, oscillant entre l’esthétique pure et la conscience sociale.

Ismael Arcani et Cart’1 ont emprunté des chemins distincts pour arriver à leur passion respective pour le street art et le graffiti. Ismaël, formé aux Beaux-Arts, a développé un style personnel sur grands formats, amenant son art dans les rues pour représenter le peuple bolivien. Cart’1, quant à lui, a été séduit par le graffiti dès son plus jeune âge, attiré par le mouvement      hip-hop, l’aspect rebelle et la liberté d’expression offerte par cette forme d’art urbain.

 

Street Art et graffiti : regards croisés entre la Bolivie et la France

© Massimo Groppi

Définir le street art et le graffiti : Nuances et perceptions

Selon Ismael Arcani, le graffiti est un langage plus traditionnel et spontané, basé sur les lettres, tandis que l’art urbain est plus planifié, avec une étude de la forme, du dessin et de la composition :  un concept plus élaboré. Cart’1 souligne que le graffiti est l’art de la lettre, associé à un style de vie axé sur le vandalisme et la liberté de peindre sur les murs. Le street art, quant à lui, englobe le muralisme et les grandes fresques légales. Il est difficile de parler d’un seul mouvement, car il existe de nombreuses techniques, approches et perceptions de cet art.

L’art urbain comme reflet des réalités culturelles

Cependant, malgré leurs origines différentes, les deux artistes partagent une vision commune du rôle joué par leur art pour enrichir le tissu urbain. Pour Ismael, le street art et le graffiti constituent un moyen privilégié de façonner une esthétique artistique ancrée dans les réalités culturelles d’un pays. C’est pourquoi il insiste sur l’importance cruciale de poursuivre le développement d’une esthétique et d’un courant artistique bolivien, en mettant un accent particulier sur la mise en lumière des questions et des thématiques indigènes à travers un langage visuel authentique propre au muralisme local. Pour Cart’1, l’art urbain représente bien plus qu’un simple médium d’expression visuelle. C’est un véritable catalyseur de dialogue interculturel, permettant à chaque artiste d’apporter sa pierre à l’édifice dans une narration collective en constante évolution. Loin de chercher à imposer un message univoque, Cart’1 célèbre au contraire la diversité des perspectives et des techniques, refusant de cantonner ce mouvement protéiforme à une seule appellation réductrice.

L’éternel débat : Art pour l’art ou engagement sociétal ?

Néanmoins, une question essentielle se pose : dans quelle mesure ces pratiques artistiques peuvent-elles réellement susciter un changement social ou politique ? Ismael souligne que son travail n’a pas nécessairement pour but d’impacter la société, mais qu’il est inévitablement influencé par les réalités sociales et culturelles de son pays. Cart’1, quant à lui, reconnaît que l’art urbain peut être un moyen d’expression politique, mais que certains artistes ne le considèrent pas comme tel, et se concentrent davantage sur l’esthétique.

Cette tension entre l’esthétique et l’engagement social est au cœur des débats entourant le street art et le graffiti. D’un côté, ces formes d’art offrent une plateforme pour repousser les limites de la créativité et explorer de nouvelles techniques, comme le fait par exemple Cart’1 dans son festival Peinture Fraiche en utilisant la réalité augmentée. De l’autre, elles peuvent servir de catalyseur pour des discussions importantes sur des enjeux sociaux et sociétaux, comme l’a démontré par exemple le travail d’Ismael sur l’appropriation culturelle des cholitas, ces femmes boliviennes de l’Altiplano qui perpétuent le style vestimentaire emblématique de la tradition aymara.

Street Art et graffiti : regards croisés entre la Bolivie et la France

© Massimo Groppi

La quête d’équilibre entre forme et substance

Cependant, malgré ces différences d’approche, les deux artistes partagent un point commun essentiel : leur amour pour l’esthétique et la création. Ismael souligne l’importance de l’étude de la forme, du dessin et de la composition dans son travail, tandis que Cart’1 s’inspire de la mythologie gréco-romaine et de la liberté d’expression offerte par les différentes techniques pour réaliser ses œuvres. Pour eux, le street art et le graffiti ne sont pas seulement des outils politiques, mais aussi des moyens d’explorer leur créativité et de repousser les limites de leur art.

Alors que le street art et le graffiti continuent d’évoluer, les artistes comme Ismael Arcani et Cart’1 se retrouvent au carrefour de l’esthétique et de l’engagement social. Leur défi sera de trouver un équilibre entre ces deux aspects, en utilisant leur art pour susciter des réflexions tout en préservant leur intégrité créative. Car, au final, c’est peut-être dans cette tension même que réside la véritable puissance du street art et du graffiti : un pont entre l’expression personnelle et la conscience collective, un moyen de transformer les murs des villes en toiles vivantes racontant les histoires de nos sociétés, leurs réalités, leurs défis.

Massimo GROPPI, Pauline FERNANDEZ

Massimo GROPPI, Pauline FERNANDEZ

Alliance Française de Santa Cruz de la Sierra, Bolivie