Propos recueillis par El Café Latino
Directeur de l’Institut Culturel du Mexique, René Ceceña :
Mesdames, Messieurs, chers amis, soyez les bienvenus à l’Institut Culturel du Mexique, pour une rencontre littéraire programmée dans le cadre de La Semaine de l’Amérique Latine et des Caraïbes. Nous sommes heureux d’accueillir Sylvia Schneider pour une présentation de son roman Ils nourrissaient le soleil, paru aux éditions Les Presses Littéraires, collection Crimes et Châtiments. Sylvia Schneider est accompagnée par ses amis du monde culturel francophone, que vous allez découvrir dans quelques instants.
Née en 1963, Sylvia Schneider a grandi entre le Mexique et la France. Arrière-petite-fille de l’écrivain mexicain Alfonso Reyes, son parcours universitaire était déjà placé sous le signe de la littérature. Après un doctorat de lettres sur la Symbolique de l’Initiation dans les œuvres d’Alejo Carpentier et de Michel Tournier, et plusieurs années en tant que chargée de communication à l’Alliance française, elle partage de son mieux son temps entre son métier de bibliothécaire et sa vocation d’écrivain. Lauréate du Prix littéraire Jules Ferry pour La Ballade des aujourd’hui, aux éditions Publibook, elle est passionnée par la psychologie des tueurs en série, ce qui l’a amenée à écrire son premier roman policier, dont il est question aujourd’hui.
Aux côtés de Sylvia Schneider, nous sommes ravis d’accueillir Ivan Kabacoff qui présente, chaque semaine, l’émission Destination francophonie, laquelle met en avant les nouvelles initiatives en faveur de la langue française partout dans le monde (TV5 Monde). Il a travaillé pendant une dizaine d’années dans les services culturels des ambassades de France pour promouvoir l’enseignement du français, notamment en Ouzbékistan, en Géorgie et en Russie. Puis il est rentré au Ministère des Affaires étrangères à Paris, où il a mis en place des campagnes de communication en faveur de la langue française, à destination de réseaux culturels français à l’étranger, avant de rejoindre la direction de la communication TV5 Monde pour développer des partenariats autour de la francophonie et renforcer la promotion du service d’apprentissage et d’enseignement du français propre à la chaîne.
Nous accueillons également Fabrice Placet, qui travaille au sein de la Fondation des Alliances françaises en tant que responsable géographique Amérique Latine, Caraïbes, Afrique du Nord et Moyen Orient. Il est aussi le fondateur de l’entreprise CanoSphère éco responsable, lauréate du trophée MAB-UNESCO pour la biodiversité en 2019 et qui propose des balades en canoë en Dordogne avec un impact positif pour l’environnement. Par ailleurs, vous verrez que le Mexique a été un pays décisif dans sa formation.
Enfin, pour compléter ce beau panier, nous recevrons Marcelo Gomez, promoteur culturel de El Café Latino. Un magazine culturel entièrement dédié à l’Amérique latine, partenaire privilégié de la Semaine de l’Amérique Latine et des Caraïbes, avec un contenu entièrement bilingue en espagnol et français.
Chers amis, merci d’avoir accepté notre invitation et merci à tous d’être là. La parole est à vous.
Ivan Kabacoff : Bonjour à toutes et à tous, c’est un plaisir de parler du Mexique à l’Institut Culturel du Mexique.
Il sera question du Mexique pendant une heure, avec toi Sylvia. On se connaît depuis une dizaine d’années aujourd’hui et je suis content de t’accompagner dans la présentation de ton livre au grand public. Ce que tu proposes c’est une plongée dans le Mexique d’hier et d’aujourd’hui. On plonge dans la civilisation aztèque. On croise le commandant Marcos et, si vous ne connaissez pas le métro de Mexico, à la fin du livre vous allez le connaître et de manière extrêmement étonnante (si vous n’avez pas encore lu le livre).
Finalement Sylvia, le personnage principal de ton livre, c’est le Mexique.
Sylvia Schneider : “Oui.”
Fabrice Placet :
Et pourquoi le Mexique ?
Sylvia Schneider : Avant de commencer, je voudrais d’abord remercier Son Excellence Monsieur Juan Manuel Gomez-Robledo, Ambassadeur du Mexique à Paris, de sa présence ainsi que son épouse. Je remercie également le directeur du centre culturel du Mexique, Monsieur René Ceceña, et Marion Dellys, en charge de la communication et de la presse. Bonjour à tous et merci d’être venus.
Alors pourquoi le Mexique est-il un personnage central ? J’y ai vécu quand j’étais enfant. Je suis à moitié mexicaine. J’ai vécu pendant douze ans à Mexico, au sein d’une bibliothèque, à la Capilla Alfonsina, la maison-bibliothèque de mon arrière-grand-père, l’écrivain Alfonso Reyes, où j’étais fascinée par tous les ouvrages qu’il y avait autour de moi. Le Mexique est un pays de cœur, un pays de révélation, un pays où j’ai découvert le sens de la vie et où j’ai grandi. J’ai écrit ce livre parce que je voulais montrer aux français tout l’amour que j’avais pour ce pays.
Fabrice Placet : C’est toujours une histoire d’amour quand on écrit un livre. Tu t’es d’ailleurs beaucoup documentée. Si vous voulez tout connaître sur la civilisation aztèque et ses rites, je vous recommande ce roman. On va en parler tout à l’heure.
Combien de temps as-tu mis pour écrire ce livre ?
Sylvia Schneider : (J’ai mis presque six ans. À l’éditeur j’ai dit quatre pour ne pas avoir l’air de trop traîner. Et d’ailleurs, il m’a déjà commandé la suite.) J’ai mis 6 années mais pas en continu, car je travaillais et j’avais peu de temps. Mais la crise sanitaire m’a, en quelque sorte, forcée à le terminer.
Fabrice Placet : Il y a beaucoup de références autobiographiques dans le livre. Et le personnage d’André le journaliste, qui revient au pays ?
Et le personnage Teresa dont on voit la photo, est-ce toi ?
Sylvia Schneider : Peut-être…
Fabrice Placet :
Pourquoi as-tu voulu mettre tous ces clins d’œil autobiographiques dans ton livre ?
Sylvia Schneider : J’y ai mis toute ma personnalité, tout mon vécu. Pour imiter un petit peu à une moindre échelle Flaubert, qui disait ” Madame Bovary, c’est moi “. Je me suis transformée, déformée, je suis devenu un homme. Je me suis cachée derrière des personnages. J’apparais à travers plusieurs personnages, mais les personnes qui me connaissent bien ont réussi à me déceler quand même.
Fabrice Placet :
Comment vis-tu cette double culture qui t’habite ? L’écriture n’est-elle pas un moyen de lui rendre hommage ?
Sylvia Schneider : L’écriture est un peu magique. C’est vraiment quelque chose qu’il faut que je couche sur le papier. C’est quelque chose de vital et d’indispensable. C’est comme si je respirais. La fluidité de l’encre qui glisse sur le papier, c’est mon oxygène.
Fabrice Placet :
Comment agis-tu dans ton processus d’écriture ?
Sylvia Schneider : L’avantage de la double culture, c’est que cela me donne une double vision. Alors, je ne cesse de faire des allers-retours entre les mondes. Il y a aussi le fait d’avoir travaillé pendant des années à l’Alliance française, à la rencontre des cultures du monde : cela a imprégné mon écriture. Et à ce propos, là j’aimerais qu’on donne la parole à Fabrice, en tant que Délégué géographique de la Fondation des Alliances françaises.
Fabrice Placet : Merci à toi, Sylvia. Et avant toute chose, tu as le salut de tout le réseau des Alliances françaises. Parce que tu as été pendant très longtemps une personnalité tutélaire à la Fondation. Il y a 800 alliances de par le monde. Donc chaque journée a son lot de problèmes. Moi-même, je le sais car je l’ai vécu alors que tu étais de l’autre côté du téléphone. Tu as toujours eu ce calme, cette sérénité qu’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui. On ne quitte jamais vraiment les Alliances françaises, mais aujourd’hui tu as pris d’autres chemins. Merci Sylvia, au nom des collègues, et à titre personnel.
Je vais essayer d’innover la présentation des Alliances françaises :
1862, les Prussiens attaquent l’Autriche. Il va y avoir un lien, ne vous en faites pas. L’empire austro-hongrois s’effondre et commence même à s’effriter. Quelques années après, Bismarck attaque la France. L’empire de Napoléon III s’effondre. Et là, panique en France, panique institutionnelle, effondrement politique. Les intellectuels français se disent qu’il ne faut pas qu’il arrive à la France ce qui est arrivé à l’Autriche. Ils se réunissent en se disant “Qu’est-ce qu’on peut faire pour rompre l’encerclement prussien ?” (encerclement métaphorique). Parmi ces intellectuels, vous avez tout de même Jules Verne, Louis Pasteur, Paul Cambon, Ferdinand de Lesseps, etc. Ils se disent : “on va inventer un concept” et ce concept, c’est l’Alliance française. Ce concept est un concept complètement en rupture par rapport à la tradition historique française, qui est une tradition jacobine verticale. Ils décident d’une chose qui aujourd’hui est en plein dans la modernité de notre temps. L’Alliance française, ce sera une maison dans laquelle on apprendra le français et d’où l’on découvrira la culture française. Sauf que, et le sujet a évolué évidemment, l’Alliance française sera tout, sauf française. C’est-à-dire que pour avoir une Alliance française, il faut que ce soit des locaux qui nous invitent. Et pourquoi est-ce que je vous dis cela, parce que l’une des premières alliances françaises c’est l’Alliance française de Mexico, créée en 1884. Que se passe-t-il ? Vous imaginez les Mexicains, à qui on donne une idée et puis, tout d’un coup, ils se disent : “on va mettre du temps, de l’argent, de la relation et on va construire une Alliance française”. Et cela existe au Mexique, en Australie, en Russie et en Afrique. Vous l’avez partout dans le monde, c’est-à-dire que des intellectuels, des enseignants, des gens avec une certaine ouverture d’esprit se disent “on va créer un lieu”, et très vite l’idée dépasse complètement la France. C’est-à-dire que ce lieu devient un lieu non plus exclusif, et tant mieux, parce que c’est l’objectif de culture française. Cela devient un lieu de dialogue et de culture. Et pour marquer cette indépendance qui est inscrite dans les têtes et dans la vision de Jules Verne, etc, le conseil d’administration est souverain, mais surtout le modèle économique aussi. Le modèle économique est indépendant, c’est-à-dire, les cours de français (et vous pouvez imaginer que ce n’est pas un produit facile à vendre) financent la maison. Et donc aujourd’hui, vous vous retrouvez avec un réseau de plus de 800 Alliances de par le monde, la dernière qui vient d’être créée, c’était il y a de cela deux mois, au Venezuela en pleine crise sanitaire. Des intellectuels, des entrepreneurs – Pourquoi des entrepreneurs ? Parfois je leur posais la question “Pourquoi l’Alliance ?” Et ils me disaient : “Parce que l’on a besoin que nos employés, ouvriers, techniciens, ingénieurs, éprouvent ce que c’est que notre culture. Si je n’ai qu’une seule culture, je ne résoudrai les problèmes que d’une seule manière.” Et donc l’idée fonctionne parce que c’est la société civile qui s’organise. Actuellement, la société civile locale en Tunisie vient de créer six alliances. Pourquoi ? Parce que vous connaissez un peu l’histoire tunisienne. Et la société civile cherche quelque résonance dans les Alliances françaises.
Et je vous invite quand vous partez en voyage à aller frapper à la porte des Alliances. Généralement, on ne rencontre que des gens sympathiques. Et d’autant plus au Mexique qui est un grand pays d’Alliances. Au Mexique, vous avez plus de 30 Alliances, et qui ont, qui plus est, un rôle d’éclaireurs culturels à la fois pour des intellectuels locaux, mais à la fois aussi pour des artistes français. Didier Lockwood a lancé sa carrière dans les Alliances françaises, pour ne citer que lui. Salgado, le grand photographe brésilien, c’est encore autre chose, mais cela fait partie de la magie des Alliances, a rencontré sa femme dans le cadre d’une inauguration de livres à l’Alliance française. Si le Mexique souffre aussi de la crise, il connaît la résilience. Aujourd’hui nous avons 20 000 étudiants français au sein des Alliances françaises du Mexique, à travers des dispositifs numériques. Les Alliances françaises, c’est un beau projet, qui n’est pas francophone et c’est là son secret. En Russie, on crée de plus en plus d’Alliances françaises.
J’en profite pour vous dire encore une chose : je pense qu’il y a des amis mexicains dans la salle, nous avons monsieur l’Ambassadeur. Le Mexique a pour les français, une dimension initiatique, qui invite au voyage. À 21 ans, j’ai fait mon sac à dos, j’ai dit à mes parents que je reviendrai à la fin de l’été, je suis rentré un an et demi après. Quel marqueur le Mexique a-t-il été ? J’ai retrouvé au Mexique des choses que j’ai perdues ici. Ce sera peut-être un lien par rapport à l’identité aussi. J’ai découvert au Mexique ce qu’un homme pouvait être aussi. J’ai découvert au Mexique ce qu’une relation avec une femme pouvait être. J’ai appris aussi qu’on pouvait danser à deux. Alors cela, c’était une révolution extraordinaire parce que je suis né dans un petit village du Périgord. Quand je suis revenu dans mon village, j’étais une star, j’avais appris à parler avec mon corps. Et j’ai appris aussi au Mexique deux choses : “a quien hace llorar” (c’est un pays qui fait pleurer). Cela je m’en souviendrai toujours. J’étais en peine de cœur car évidemment en allant au Mexique, j’ai été victime des Mexicaines. Une autre chose qui a été pour moi extraordinaire, c’est la musique des mariachis. C’est-à-dire comment on peut dire en musique que l’on aime, comment on peut dire que l’on souffre et comment l’on peut dire à ses amis tout simplement “joyeux anniversaire”. Et cela c’est quelque chose que je porte en moi et j’arrive au livre. Parce que, quand je lis ce livre, il y a pour moi deux questions. La première c’est : ce n’est pas une histoire d’amour mexicaine. C’est juste par rapport à mon prisme. Mais pourquoi je te pose cette question-là, parce qu’en fait, c’est le monde de l’entre-deux. Et très souvent dans cet entre-deux, tu te poses cette question sur ton identité : à la fois française et mexicaine et, en même temps, tu évoques le fait d’être fille de diplomate : cela oblige aussi à être entre deux pays. Et dans le même temps je me posais la question : est-ce que cet entre-deux n’est pas, et permettez que j’utilise ces mots parce que je ne suis pas spécialiste, le Mexique lui-même ? Est-ce que ces allusions par rapport à l’identité, ce n’est pas l’histoire du pays, l’identité mexicaine n’étant pas une identité linéaire. C’est-à-dire qu’en France, il y a un roman national, qui fait qu’on a l’impression d’être naturellement les “fils de”. Au Mexique, il y a les aztèques et ensuite il y a la colonisation, le métissage. Et on a l’impression que c’est une identité qui est faite de ruptures…
Donc, quelque part, chaque fois dans ton roman, il y a des approches pour moi très mexicaines.
Ce problème d’identité, n’est-ce pas finalement l’histoire du Mexique ?
Avec des identités fractionnées et non pas une linéarité dans la construction de l’identité. Parce que ce j’ai l’impression que les aztèques, quelque part, ce n’est pas une histoire encore bien digérée.
Sylvia Schneider : Merci Fabrice pour cette belle et longue présentation. Je sais bien que, comme le disait le Général de Gaulle, lors du discours à Alger, en 1943 : “On ne résiste pas à l’Alliance française“, c’est pourquoi j’ai tenu à faire venir Fabrice. Quant à la question de l’identité, je suis plutôt quelqu’un de l’image et de l’écrit, donc je vais vous présenter une bande-annonce du film, du livre. Révélateur, le lapsus. Et vous allez un peu comprendre ce qu’il y a dans le livre, à travers ce film réalisé par Olivier Denis, que l’on peut retrouver sur la revue de presse présente sur le site de mon éditeur, les Presses Littéraires : https://www.lespresseslitteraires.com/schneider-sylvia/.
Textes extraits de la bande-annonce filmée du livre :
« Mexicain de la mémoire, j’entre dans Tenochtitlán, comme au fond d’un rêve. Palpant les murs pour concrétiser la réalité, pour m’assurer que je ne suis pas en train de rêver ce que je vis. ” ~ Ils nourrissaient le soleil, Sylvia Schneider, les Presses littéraires, col. Crimes et châtiments (p.18).
« J’ai toujours été émerveillé par la chaleur communicative de ce pays. Ici la langue recouvre sa fonction première, elle communie par la phonie. La tonalité impose son sens à la phrase et la parole devient la vraie musique de l’âme. Désormais, j’étais sûr d’une chose, le Mexique a donné son murmure poétique à mon cœur. ” ~ Ils nourrissaient le soleil, Sylvia Schneider, les Presses littéraires, col. Crimes et châtiments (p.22).
« Durant toute ma vie, j’avais vécu à Paris et au Mexique et je réfléchissais souvent au sentiment d’errance engendré par la double culture. Rêver « ici » d’« ailleurs » m’amenait sérieusement à repenser le concept même de mon identité. Au bout du compte, je finis par conclure que la patrie se trouve à l’intérieur de soi. ” ~ Ils nourrissaient le soleil, Sylvia Schneider, les Presses littéraires, col. Crimes et châtiments (p.217).
« Étendu dans une chambre verte aux murs laqués et brillants, ce soir, pour la première fois depuis six ans, je ne prendrai pas de tranquillisants. Ce pays m’apaise et je ferme les yeux, oublieux du monde et des souvenirs immédiats. La nuit tombe sur la ville engourdie, illuminée de lune. Ici, le temps se fige, il prend une autre dimension, immuable dans son éternité. ” ~ Ils nourrissaient le soleil, Sylvia Schneider, les Presses littéraires, col. Crimes et châtiments (p.31).
« À travers ses descriptions des jardins flottants, on pouvait presque contempler la brume et l’écume blanche de la saponaire caressant la lagune… ” ~ Ils nourrissaient le soleil, Sylvia Schneider,
les Presses littéraires, col. Crimes et châtiments (p.119).
Ivan Kabacoff : Vous avez vu cette bande-annonce d’Olivier Denis, parce que ton livre est un polar. C’est important de le dire. Et un des personnages du roman est un tueur en série. On le sait tout de suite, c’est… (il révèle à la salle qui est l’assassin).
Sylvia Schneider : Chut, il ne faut pas le dire !
Ivan Kabacoff : Ce qui est intéressant, pour moi, c’est que c’est un polar, sans enquête. Ce n’est pas l’enquête qui est intéressante, tu es d’accord avec cela ?
Sylvia Schneider : Oui.
Ivan Kabacoff : Ce qui est intéressant, ce n’est pas l’enquête, par rapport à un polar classique. C’est justement que vous entrez dans la tête du tueur en série. C’est amené de façon assez étonnante, cela m’a un peu perturbé. On arrive dans ce personnage, on rentre dans son intimité, dans son cerveau. Ce n’est pas un polar où on se demande qui est le tueur. Le tueur, c’est un personnage important du livre et qui fait resurgir à sa manière toute les violences des rites aztèques. Je n’ai pas pu tout lire, je l’avoue, c’est assez violent et cela m’a donné envie aussi d’aller un peu plus loin, c’était tellement fascinant.
D’où te vient cette fascination pour cette civilisation et pour les tueurs en série ?
Sylvia Schneider : Quand j’étais petite, j’ai grandi au milieu des livres dans la Capilla d’Alfonso Reyes, où il y avait beaucoup de gravures et de reproductions de sacrifices aztèques et cela a imprégné mon imaginaire. J’étais vraiment fascinée. Je disais à mon grand-père : est-ce qu’ils sont cruels ? Il me disait : “Non, non, ils veulent nourrir le soleil, c’est pour cela qu’ils tuent : ils ne veulent pas que le monde s’arrête.” Tous les 52 ans, ils avaient peur que le monde s’arrête : il fallait absolument faire des sacrifices. Donc je me suis dit qu’il fallait m’interroger sur le sens de ces sacrifices et j’ai beaucoup cherché d’où ils venaient, quels étaient tous les rites. Vous découvrirez à travers le roman, tout un tas de sacrifices et leurs significations. J’ai beaucoup cherché dans les récits de Jacques Soustelle ce qu’étaient la vie quotidienne et les us et coutumes des aztèques. Je me suis nourrie des descriptions de Cortès, des écrits du prêtre missionnaire Bartolomé de las Casas (défenseur des droits des Amérindiens), des récits historiques de la conquête comme ceux de Bernardino de Sahagún ; j’ai vraiment enquêté profondément comme un chercheur, comme je l’avais fait pour mon doctorat de littérature comparée. J’ai été fascinée aussi, par ailleurs, par certains films cinématographiques. Paradoxalement je ne suis pas une lectrice du genre policier, mais l’atmosphère cinématographique de certains films noirs comme Hannibal, le Silence des agneaux, Peur sur la ville, Psychose, et Pulsion, m’a accompagnée durant l’écriture du roman.
Je me suis donc aussi beaucoup intéressée aux comportements psychologiques des tueurs en série. En fait, je suis entre deux mondes, entre deux cultures, entre les aztèques d’avant et les serial killers d’aujourd’hui.
Ivan Kabacoff : On continue sur les tueurs en série. La mort est omniprésente dans ton livre. J’ai eu la chance d’aller au Mexique durant la fête des morts.
La mort au Mexique, pour toi que veut-elle dire ?
Sylvia Schneider : La mort au Mexique est joyeuse, on va pique-niquer sur les tombes. La mort, ce n’est pas la fin du monde. On est de passage sur la Terre. La mort est joyeuse là-bas, on la fête avec des petits squelettes en sucre qu’on achète aux enfants. Cela a vraiment imprégné mon imaginaire quand j’étais petite. J’ai d’abord vécu un peu en France, puis je suis arrivée au Mexique, à l’âge de 8 ans. J’étais vraiment fascinée par la joie de vivre qui se dégage de ce peuple, ce que l’on ne trouve pas du tout en France, il faut bien le dire.
Ivan Kabacoff : C’est vrai, c’est une expérience incroyable que de vivre un premier novembre au Mexique. Mais on a l’impression quand-même dans ton livre que la mort est toujours un petit peu là. Tu dis que c’est joyeux, mais en même temps il faut quand-même supporter la présence de la mort qui est là, tout au long de ton livre.
Sylvia Schneider : Elle est omniprésente c’est vrai, mais du coup la mort fait moins peur. On devient un peu familier avec elle, on la côtoie.
Ivan Kabacoff : Il y a une parenthèse dans ton livre, c’est celle du commandant Marcos. Une parenthèse parce que c’est vrai qu’elle arrive juste comme cela et il y a un très long développement.
Pourquoi était-ce important pour toi d’évoquer ce personnage ?
Sylvia Schneider : C’est un personnage assez fascinant, qui m’interrogeait quand j’étais petite. Je me disais : « mais qui est cet homme qui n’est visible qu’à travers son invisibilité ? ». Et on le reconnaissait grâce à son masque, on a souvent dit plus tard que c’était un philosophe et j’étais assez fascinée par ses techniques. En pleine jungle, il pouvait avoir des moyens de communication des plus modernes. Avec dérision il appelait son âne Internet, et je me demandais : ” Est-ce qu’il existe vraiment ? Est-ce que ce n’était pas un mythe ? Est-ce qu’il n’en existait pas plusieurs ? “. Il y avait quelque chose d’étrange qui me fascinait. Et c’est pour cela que le journaliste est parti enquêter sur son sujet. C’est un prétexte. Il va y avoir des révélations fracassantes à propos des élections mexicaines et donc c’était quelque chose qui me titillait.
Ivan Kabacoff : C’est assez intéressant, c’est vrai que c’est quelque chose que tu fais très bien vivre. Alors, quand vous allez lire le livre si vous ne l’avez pas lu, il y a beaucoup de jeux de calligraphies, où on voit des écrits en gras ou en plus gros.
Pourquoi était-ce important pour toi de marquer ces jeux calligraphiques au sein de ton roman ?
Sylvia Schneider : En fait, ce sont plutôt des jeux sur la typographie. J’ai fait un Diplôme d’Études Supérieur Spécialisé d’Édition et j’ai été imprégnée par l’impact du caractère des lettres dans l’œil des lecteurs. Comment la lettre arrive à fixer le lecteur. Il y a tout un tas de recherches qui sont faites, par exemple les livres de la Pléiade sont en Garamond avec des petits points ou empattements pour accrocher l’œil du lecteur et pour être plus faciles à lire. Il y a aussi les exemples des éditions de Massin, qui illustrent les pièces de Ionesco et là, le typographe mettait en page et jouait subtilement avec les grosses lettres et les petites lettres. Pour moi, la typographie est quelque chose de très important et de très intéressant. Cela accroche le lecteur, cela l’attire, cela le capte. Mon livre est un peu visuel. En l’écrivant, j’imaginais des scènes cinématographiques. Ce n’est pas pour rien que j’ai demandé à un ami, Olivier Denis, de faire le film. Il est en école de cinéma et c’est son premier film. Parce que je voulais montrer l’atmosphère visuelle qui se dégageait de ce texte.
Ivan Kabacoff :
Ton autre secret, c’est l’espoir que ton livre devienne un film ?
Sylvia Schneider : Oui.
Ivan Kabacoff : Une bonne série pour Netflix cet hiver. (Rires)
C’est entre le thriller, le film d’horreur, et aussi de l’amour. C’est cela qui est un chemin intéressant dans ton livre. C’est très baroque. On a tous les thèmes, tous les genres qui sont mélangés.
Pourquoi as-tu voulu mélanger comme ça tous ces genres ?
Sylvia Schneider : Parce que ces genres sont un peu des fragments de mon identité, je pense. Cela donne un texte porté par la passion, l’amour et des convictions humanistes, un livre dense, inquiet, poétique, envoûtant.
Ivan Kabacoff :
Maintenant, dis-nous, comment écris-tu ?
C’est important pour toi de trouver un lieu pour écrire ? Comment tu t’inspires de ton histoire, de la vie ?
Sylvia Schneider : D’abord, j’ingurgite. Cela reste en moi pendant longtemps, puis je me réveille très tôt pour écrire, et je griffonne sur plein de petits carnets.
Ivan Kabacoff : C’est vital. Avant de donner la parole à Marcelo, j’aimerais que tu nous parles un peu de l’atelier d’écriture avec les élèves des Alliances françaises au Mexique. Tu es aussi fan de la transmission, si je comprends bien.
Sylvia Schneider : Tout à fait. Je vais vous présenter un petit PowerPoint. J’ai eu la chance d’animer un atelier d’écriture avec des élèves mexicains qui venaient de plusieurs villes comme Coalcalco, Del Valle, Mexico, Monterrey, Puebla, Toluca, Saltillo et cela grâce à la coordination générale de la Fédération des Alliances françaises du Mexique (Federación de las Alianzas Francesas de México) et grâce aussi à son coordinateur général, Cyril Anis. J’avais dix élèves, par Zoom pendant cinq séances. J’ai étudié avec eux en partant de mon roman comme exemple, mais en leur proposant aussi d’inventer le leur. L’analyse de l’image, l’importance de la typographie, l’importance du choix de titre d’un livre. Parce qu’il faut dire que ce livre vous le découvrirez, a été l’objet de beaucoup d’interrogations pour le choix du titre. J’avais envisagé une quinzaine de titres et j’ai mis longtemps avant de me décider. Ensuite, on a étudié les débuts de roman, les fins de roman, l’importance du résumé du plat IV. Puis les techniques d’écriture. À chaque fois, j’affinais de plus en plus l’importance de la description. Par exemple, ils m’ont décrit le marché de l’Anahuac, comme il y en avait des reproductions, à partir des fresques de Diego Rivera au Palais National. Cela a inspiré et éveillé leur imagination. Ensuite ils ont travaillé sur les personnages, ils ont fait des dialogues et ils ont réfléchi sur leur intrigue. Puis on a joué au jeu du pseudonyme. Ils ont dû inventer le nom d’un éditeur, une maison d’édition, une collection. Je les ai fait s’amuser avec le questionnaire de Marcel Proust. C’est encore la recherche d’identité qui se cache quelque part avec cette écriture. Et le jeu de l’Abécédaire amoureux, de la lettre A jusqu’à la lettre Z. Il fallait qu’ils trouvent des phrases en lien avec l’histoire d’amour. Puis, à la fin, ils avaient trois minutes pour me convaincre. Alors je vais vous montrer des exemples de leurs couvertures. Parmi eux, il y en a deux qui veulent continuer à écrire, et cela m’enchante.
Observez cette couverture intitulée : “Une aventure inoubliable”. Ici, un étudiant mexicain, qui n’est pas du tout graphiste, nous a proposé un thème, une aventure, la France. C’est une couverture typiquement “Alliance française”, avec sa tour Eiffel et sa bouche de métro.
Une autre couverture. Là, c’est une jeune femme qui s’est interrogée sur une épidémie en 1347, la peste, mais qui faisait également écho au Covid. Un roman un petit peu fantastique.
Là encore, c’était une recherche de sciences sociales autour de questions de difficultés de logement au Mexique. C’était une étude documentaire. Ici, c’était quelque chose de plus mystérieux.
C’était un travail très agréable à faire avec les Alliances du Mexique. J’ai aussi travaillé avec les Alliances d’Italie, l’Alliance de Catane qui était la première à me proposer une interview autour de mon livre et puis la Nuit de la lecture avec l’Alliance de Cuneo, en participant au marathon littéraire organisé par les Alliances françaises d’Italie avec des lectures variées et des auteurs qui illustraient le thème de cette édition 2021 : « Relire le Monde », et pour laquelle, j’ai également proposé un atelier d’écriture autour de la poésie, pendant le Printemps des poètes. J’espère que cela continuera avec d’autres Alliances françaises. J’ai aussi eu la chance de participer à la seconde édition du Festival international de la femme de lettres (II Festival internacional La Mujer en letras ANHG), à la demande de l’Université Autonome de Mexico, (l’UNAM) pour échanger en français autour de : Ils nourrissaient le soleil.
Ivan Kabacoff : C’est un aussi un fabuleux moyen d’être en contact avec la langue française que de pouvoir l’écrire. Alors je laisse comme promis la parole à Marcelo Gomez.
Marcelo, peux-tu d’abord nous présenter ton magazine et puis nous dire quelques mots sur le livre de Sylvia ?
Marcelo Gomez : Merci beaucoup. Je remercie chaleureusement Sylvia Schneider de nous permettre d’être ici, El Café Latino. Et merci à Marion Dellys pour cette merveilleuse rencontre et je suis ravi d’échanger avec vous, Ivan Kabacoff et Fabrice Placet.
El Café Latino, pour ceux qui ne connaissent pas, on clôture pratiquement la Semaine de l’Amérique latine avec cet événement. Un événement organisé par le Ministère des Affaires Étrangères et Philippe Bastelica, je crois qu’il n’est pas là dans le public, mais on le salue. Durant cette semaine, El Café Latino a toujours été un partenaire du Ministère, et cela depuis 2013. Donc, nous avons organisé des animations, ici cette année. Les événements se sont déroulés en France, et de plus en plus à l’international aussi, en Amérique latine. Et plus de quatre cents événements cette année. Cette année, El Café Latino a organisé quatre événements importants autour de l’histoire de la bande-dessinée. Autour également de la littérature contemporaine avec des rencontres, des échanges, des interventions, notamment de Santiago Gamboa, auteur colombien, et également d’Ariana Harwicz, argentine, mais aussi de Mario Cevallos, inventeur de la première bande-dessinée faite avec du vin rouge. Il y a eu également un événement sur les différences linguistiques en espagnol avec une intervenante de Sciences Po Grenoble. Et puis, un concert que nous avons organisé à côté de la Tour Montparnasse avec un groupe latino-américain. Cela est déjà terminé malheureusement, mais on peut retrouver cela, l’année prochaine, en allant sur le site : elcafelatino.org.
Au-delà des événements, El Café Latino est un magazine au format papier comme vous l’avez ici. C’est un magazine totalement gratuit. Il est distribué notamment ici, à l’institut culturel du Mexique, dans les consulats, les ambassades, et également dans certains restaurants mexicains et latino-américains. Certaines personnes le reçoivent par courrier, dans leur boîte aux lettres.
C’est un contenu qui est vraiment socioculturel, avec des articles intemporels, sur l’histoire, sur la gastronomie, sur les sites de tourisme, sur différentes thématiques. Sur l’activité culturelle également. L’objectif de El Café Latino c’est vraiment d’unir l’Amérique latine et la France à travers ce média, ce contenu. Aujourd’hui, avec le site web elcafelatino.org, vous pouvez y retrouver ce contenu totalement gratuit, y compris au Mexique, pour les étudiants qui vont nous écouter après. Vous pouvez voir tout ce contenu, gratuitement, en français et en espagnol. Des interviews, des événements à venir, des newsletters sont aussi présents. Tout cela existe depuis presque dix ans déjà, avec la collaboration des bénévoles, des étudiants, et également des journalistes et écrivains du monde entier. Pour terminer, je souligne l’importance et l’accueil unique que fait la France au Mexique, justement aux étudiants. Il y a une communauté mexicaine qui est très soudée, présente ici, notamment des entrepreneurs qui sont représentés dans la chambre de commerce mexicaine également. C’est un honneur de pouvoir être ici et de représenter cela avec El Café Latino, le magazine, avec l’association. C’est une association, avant tout, qui on espère, pourra continuer à unir la culture latino-américaine à travers tout le contenu qu’on produit avec le magazine. Et en parlant des ateliers, on avait aussi fait un atelier d’écriture avec une écrivaine reconnue, avec d’autres activités. Si vous avez une question entre-temps, n’hésitez pas à me contacter à travers le site.
Je tiens à préciser, je ne devais pas être présent aujourd’hui, c’était Roman Gomez, le fondateur de l’association qui devait venir, et qui a lu le livre. Moi je ne l’ai pas encore lu, désolé, mais je te remercie de m’accueillir pour la présentation de ce livre.
Sylvia Schneider : C’est moi qui remercie El Café Latino, qui m’a accordé une interview dans son journal et qui me permet aussi d’être filmée. Je remercie également Thierry Singer de Polignac, Monsieur le Prince, de nous filmer sur cette chaîne.
Ivan Kabacoff : La chance d’être filmé par un prince, ce n’est pas tous les jours. Fabrice, j’aimerais profiter que tu sois avec nous, pour échanger un peu avec Sylvia. Tu connais très bien le Mexique, son roman a dû te parler.
Fabrice Placet : Je reviens sur l’identité et cette idée d’entre-deux, que tu présentes, que tu expliques, que tu fais remonter dans ce livre, mais est-ce que l’identité de l’entre-deux ce n’est pas finalement l’histoire du Mexique qui est un pays qui, selon moi n’a pas de linéarité, aussi artificielle soit-elle que dans le roman de la nation française ?
Le Mexique lui-même n’est-il pas un pays de l’entre-deux ?
Sylvia Schneider : Oui, c’est un pays de l’entre-deux. Déjà de par son histoire, il y avait les aztèques, les espagnols, et tous ces sangs se sont mêlés, toutes ces nations se sont métissées. Le Mexique est une terre de mélange, de mixité. L’identité est plurielle. Je ne dirai pas qu’il n’y en a pas, je dirai qu’il y en a plusieurs. On est riche de ces différences. ” Les échanges ne naissent-ils pas de l’entrecroisement des cultures ? “ Comme aimait à le dire, à qui voulait l’entendre, mon célèbre arrière-grand-père, Alfonso Reyes.
Fabrice Kabacoff : Personnellement je ne m’attendais pas à cela quand j’ai lu le roman. Je ne m’attendais pas à revoir Guy Georges.
Quel lien pourrais-tu établir entre le serial killer de Paris Match et les Aztèques ?
Sylvia Schneider : C’est là tout le mystère de cette écriture. Ce livre est un peu particulier. Il y a eu des disparus dans le métro. J’ai écrit le livre, j’ai reçu une critique qui me disait “cela ne va pas du tout, le Président Marcos n’est pas dans la jungle yucatèque”, et de fil en aiguille on a continué à s’écrire, et puis cette personne m’a dit : “finalement, vous avez raison, il y a plein de disparus dans le métro de Mexico”, et il m’a transmis de multiples articles. Et là, je me suis aperçue que dans mon livre la réalité dépassait la fiction ou que la fiction dépassait la réalité. Il y a quelque chose de très cruel au Mexique. Guy Georges c’est pour moi la représentation de cette violence aztèque qui restait ici de nos jours. C’est difficile à expliquer, mais tout s’enchaîne et tout retrouve sa place entre ces deux mondes.
Fabrice Kabacoff : Merci. Là je vais aller très loin. Je vais reprendre ton livre, et je vais lire cinq lignes. Et ces cinq lignes vont terminer sur une conclusion et donc une question : “C’est alors que dans le ciel je vis passer une étoile filante, comme le digne annonciateur de la réalisation de mes rêves les plus fous. Je croyais encore aux présages de la comète, car un jour, il y a longtemps de cela, alors que j’avais fait un vœu au passage d’une étoile, la prophétie s’était réalisée quelques semaines plus tard. J’ai, encore aujourd’hui, bien du mal à y croire, mais c’était pourtant vrai. Mon vœu se réalisa bel et bien.“ On n’a jamais le droit de parler de ses vœux quand ils ne se sont pas réalisés.
Si j’ai bien compris ce livre, il y a quand-même un jeu d’aller-retour entre toi et l’héroïne. Quel était donc ce vœu qui s’est réalisé ?
Sylvia Schneider : Une histoire d’amour.
Ivan Kabacoff : Et on n’en saura pas plus ! Si vous avez des questions, à vous de cuisiner Sylvia avec grand plaisir comme on vient de le faire.
Question dans le public : J’ai commencé le livre, et j’ai presque hésité à écouter la conférence pour continuer à le lire. Ce qui m’a intéressée, tout de suite, c’est l‘allusion aux cinq jours néfastes du calendrier aztèque. Est-ce que, aujourd’hui, ces jours ont une influence ? Même si on sait qu’au Mexique la religion dominante n’est pas celle des aztèques…
Sylvia Schneider : Pour moi, ces cinq jours néfastes sont vraiment quelque chose qui tenait le héros, le personnage principal. Pour lui, tout est un signe ; il y a une signification à toute chose. Et je pense que les Mexicains d’aujourd’hui sont encore très sensibles aux effets des signes, des prédictions, des comètes. D’ailleurs, dans le passé, les espagnols en ont joué. C’est pour cela qu’ils ont pu exterminer les aztèques en jouant sur les éclipses du soleil, et sur des prophéties qui étaient déjà inscrites, il y a déjà longtemps. Par exemple avec l’histoire de l’homme qui vient de l’Est. C’était Cortès qui était arrivé un jour avec des personnages fantastiques. Les Anciens Mexicains n’avaient jamais vu de chevaux, ils en avaient très peur. À cela, se sont ajoutées des épidémies, la variole, toutes les maladies apportées par les Espagnols. Ils étaient vraiment attentifs aux signes et c’est resté dans mon roman comme une sorte de clin d’œil pour avertir le lecteur.
Dans le public : J’ai commencé le livre il y a un moment et je ne l’ai pas terminé, c’est assez touffu pour moi, mais je suis contente d’avoir entendu tout ce qui a été dit aujourd’hui. Je vais donc le recommencer. Moi, ce qui m’a frappée, dans ce dont vous parlez, c’est le côté baroque. Pour moi ce n’est presque pas un livre. C’est une espèce de boîte où justement il y a des images, il y a des choses écrites, il y a une parole, il y a un souffle, il y a quelque chose de très intéressant.
Sylvia Schneider : Merci. Je pense que ce côté baroque vient de mes études. J’ai étudié la symbolique de l’initiation, dans les œuvres de Michel Tournier et Alejo Carpentier. Alejo Caprtentier, c’était le maître du « réel merveilleux » latino-américain et cela a imprégné mon écriture. Ce que j’aime aussi, ce sont les récits fantastiques de Jules Barbey d’Aurevilly. Tout cela se mélange évoque à mes yeux le réalisme magique latino-américain qui, je l’espère, transparaît à travers ce texte.
Dans le public : Est-ce que je peux ajouter une chose ? C’est que c’est extrêmement agréable de lire un livre quand l’auteur est très érudit, on apprend plein de choses et c’est vraiment quelque chose de super.
Autre question dans le public : Bonjour,
Etes-vous retournée au Mexique pendant ces six années pour vous imprégner des lieux ?
Sylvia Schneider : J’y suis retournée avant de terminer mon livre pour me promener dans le musée d’Anthropologie, parce que ce musée c’est le point clé du livre, où il se passe des choses un peu merveilleuses, fantastiques, je ne vais pas en dévoiler plus (puisque certains ont déjà beaucoup dévoilé !) Mais j’ai besoin de voir visuellement, de sentir l’atmosphère. J’ai été frappée, par exemple sur la place de la Cathédrale de Mexico, il y a des voitures partout, des klaxons et là, un docteur arrive, il vous prend le pouls au milieu de la circulation ; cette vision était frappante. Je trouve que le Mexique est une terre assez surréaliste.
Dans le public :
Par rapport à la double culture, parfois j’ai besoin de retrouver mes racines. Vous aussi ?
Sylvia Schneider : Oui, j’ai besoin d’y retourner au moins tous les quatre ans.
Ivan Kabacoff : Je m’en veux d’en avoir trop dit, mais comme je l’ai dit, ce n’est pas une enquête policière, on replonge surtout dans le Mexique d’hier et tu consacres une grande partie à cette époque du Mexique. C’est une histoire passionnante, mais difficile à lire. Tu arrives malgré tout à nous faire travailler l’imaginaire. Tu nous fais voyager dans ce Mexique d’hier et d’aujourd’hui.
Pourquoi, en deux mots, faut-il lire ton livre ?
Sylvia Schneider : Pour découvrir une autre vision du monde.
Ivan Kabacoff : Je vous invite à passer l’été avec le livre de Sylvia Schneider. Merci à vous.