Il y a presque deux ans, le président salvadorien, Nayib Bukele, décrétait l’état d’urgence. Étant donné que, en un seul week-end de Mars 2022, 87 homicides ont été commis, suite à des affrontements entre les gangs Mara Salvatrucha et Barrio 18. Depuis le 27 mars 2022, ce régime d’exception a été prolongé 22 fois et maintient encore en suspens trois droits constitutionnels : la défense, la limitation temporaire d’une détention administrative et le secret des communications.
Le Salvador qui était, il n’y a pas si longtemps, l’un des pays les plus dangereux du monde, affiche actuellement le taux d’homicides le plus bas d’Amérique latine. Cette guerre contre les gangs est dépeinte dans les images virales de gangsters semi-nus, tatoués de la tête aux pieds, courant dans les méga-prisons.
L’état d’urgence n’est pas la seule mesure prise par Nayib Bukele. Depuis 2019, le Plan de contrôle territorial, composé de 7 phases, vise à réduire la criminalité dans le pays. Cela inclut le contrôle des territoires et le volet répression contre les criminels et la récupération des territoires dans les communautés où opéraient les gangsters, qui représentaient un total plus élevé que celles contrôlées par les forces de l’ordre…
La Campanera, qui était autrefois le noyau de Barrio 18 et l’un des quartiers les plus dangereux du monde, est aujourd’hui un lieu sûr avec une vie sociale. Le nombre de militaires a augmenté, les maisons « Destroyers », qui étaient autrefois les lieux de rencontre des membres de gangs, sont aujourd’hui des logements pour les résidents du quartier. Les voisins constatent un changement positif, les graffitis des gangs ont été recouverts et il y a même des matchs de football entre enfants de quartiers « rivaux ». L’impact est également positif sur l’économie, car les salvadoriens sont moins susceptibles d’être victimes d’extorsion par les Mareros (membres Mara Salvatrucha).
À ce jour, plus de 65.000 personnes ont été arrêtées et au moins 132 sont mortes en détention. Ce que beaucoup critiquent comme une violation des droits de l’homme. On fait fi de la « présomption d’innocence » et tous les détenus sont ainsi présumés coupables.
Samuel Ramirez est le fondateur du MOVIR, Movimiento de Víctimas del Régimen (Mouvement des victimes du régime). Un groupe créé en août 2002 pour dénoncer les abus du gouvernement et réclamer la libération des innocents. D’autres organisations internationales comme Amnesty International ou Human Rights Watch dénoncent également les abus du gouvernement. Il y a un schéma dans ces détentions arbitraires : la détention sur la base de prétendues dénonciations anonymes, la détention de tatouages ou d’antécédents judiciaires de toute nature. En plus, les gens ne savent pas exactement de quoi ils sont accusés et les audiences « express » – pour la plupart virtuelles – “où un juge d’identité peut juger jusqu’à 500 personnes simultanément ne permettent guère de transparences.” D’autre part, comme dans les gouvernements précédents, il y a des doutes sur le fait que la baisse de la criminalité et des décès est due aux accords de Bukele avec les gangs.
Entre le 10 et le 12 janvier 2024, en moins de 48 heures, les autorités ont procédé à 117 arrestations de membres présumés de gangs. Selon Samuel Ramirez (MOVIR), la hausse des prises se produit dans le cadre des élections législatives et présidentielles, de sorte que la probabilité d’une « stratégie électorale » est grande.
En février prochain aura lieu l’élection présidentielle, à laquelle Nayib Bukele se présentera. S’il est réélu, ce sera une première, car la Constitution ne le permet pas. Il a quitté son poste de Président à la fin du mois de novembre, ce qui lui laisse un délai de six mois pour préparer sa candidature.
Ces mesures draconiennes, voire inconstitutionnelles, visant à éradiquer la criminalité dans le pays suscitent de nombreuses polémiques aux niveaux national et international. Quel est le prix que les salvadoriens sont prêts à payer pour la sécurité ? Quelle est la limite entre la répression et l’état d’urgence ?
Nayra Palacios Miquel
Étudiante péruvienne en licence de Sciences politiques et à l’Académie de l’ESJ
Traduction : Claudia Oudet