Enzo GUET y Noa ROUZE, étudiants de troisième année à Sciences Po Grenoble
Sous la direction de BERRAKAMA Sonia, professeure agrégée d’espagnol à Sciences Po Grenoble

Photos : Archives Nationales du Chili
Photo principale : Enzo GUET
Naissance historique de la communauté
L’histoire de la Colonia Dignidad commence avec un homme, Paul Schäfer, un Allemand affilié au nazisme qui a émigré d’Allemagne au Chili en 1961, après avoir commis des actes de pédophilie dans son pays (Colonia Dignidad, Un archivo de historia oral chileno-alemán).
Cette même année, lui et Herman Schmidt sont arrivés au Chili, ont acheté des terres dans le sud du pays et fondé la Société Bienfaisante et Éducative Dignidad, dans le contexte du tremblement de terre de Valdivia en 1960. Des Allemands et des Hollandais qui avaient suivi Schäfer depuis l’Europe furent rapidement coupés de tout contact avec l’extérieur de la communauté. Là, ils commencèrent à vivre dans des conditions inhumaines, sous un système proche de celui d’une secte, caractérisé par la perte d’identité et une dépendance vitale à la communauté. Plus important encore, Schäfer imposa un travail forcé, semblable à celui d’un camp de concentration, incluant des éléments de torture et des abus sur mineurs.
Cela continua pendant la dictature chilienne, lorsque cette enclave servit de camp de torture pour les prisonniers politiques, utilisant des méthodes comme l’administration de médicaments et des décharges électriques, selon un ancien article du Periodista.
Au cours des années 1990, le nouveau gouvernement démocratique chilien commença à lutter contre cette communauté, en grande partie grâce au président Aylwin, qui révoqua le statut de Société Bienfaisante et Éducative (Société bienfaisante ou «État dans l’État» ? La Colonia Dignidad au Chili, 1966-1968).

Schäfer est parti, retour à la normale ?
Schäfer a disparu le 20 mai 1997 alors qu’il fuyait la justice chilienne. Depuis 1954, le gourou était l’esprit directeur de toute la Colonia Dignidad. Comment la communauté pouvait-elle continuer sans lui ? Sans Schäfer, la colonie a tenté de survivre, changeant son nom pour Villa Baviera en 2007 et s’ouvrant au tourisme cette même année.
Encore aujourd’hui, il est possible de réserver une nuit à Villa Baviera via des plateformes comme Booking.com, mais il est important de lire les avis des clients avant de se décider. Un exemple éloquent :
« J’ai envie de vomir. J’ai découvert cet endroit avec les enfants… Comment puis-je leur expliquer ce qui s’est déroulé les années antérieures ? J’ai honte d’avoir donné de l’argent à l’idéologie nazie ! Informez-vous. Honte à cet endroit. »
Depuis la fin des années 2010, des actions de réparation et de mémoire ont été mises en place : témoignages, procès et efforts pour faire la lumière sur les faits. Cependant, comme mentionné, l’histoire de la colonie est intrinsèquement liée à la dictature. Dans les années qui ont suivi le régime de Pinochet, il était extrêmement difficile d’aborder ce sujet, car la population n’était pas prête à regarder en face les atrocités de son histoire.
Schäfer a finalement été condamné en 2006 pour 20 délits d’abus indécents et cinq d’abus sexuels sur mineurs, mais il n’a pas été poursuivi pour les tortures commises pendant la dictature de Pinochet. Il est mort en 2010 en prison, en Argentine.
Aujourd’hui, certains responsables politiques commencent à assumer leurs responsabilités. Par exemple, le gouvernement allemand a condamné un médecin nazi de la Colonia Dignidad à une peine de prison dans son pays d’origine (FranceInfo. (s.d.). L’ex-médecin d’une secte nazie basée au Chili purgera sa peine en Allemagne). De plus, le chancelier allemand Olaf Scholz a proposé la construction d’un mémorial au Chili pour toutes les victimes de la secte et a récemment ouvert les archives allemandes concernant cette colonie.
Au Chili, le gouvernement actuel prend également des mesures. Le président Gabriel Boric a annoncé la récupération des terres de la Colonia Dignidad pour les transformer en un Monument National de 182 hectares, qui servira de lieu de commémoration, selon RFI (2024, 7 juin. Chili : le président Boric annonce l’expropriation de terrains de Colonia Dignidad).

L’impact culturel sur la mémoire
Derrière les affaires judiciaires, le cas de la Colonia Dignidad suscite un intérêt dans le domaine de la fiction : le film Dignidad en est un exemple marquant. Avec la performance d’Emma Watson, l’œuvre présente une intrigue inspirée de faits réels, où des opposants au régime de Pinochet étaient transférés dans la colonie pour y être torturés. Il existe également d’autres œuvres basées sur l’histoire de la Colonia, comme le livre français Miserere. Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres de fictions inspirées de la Colonia Dignidad, un objet historique unique par sa capacité à produire des récits sur les horreurs.
Bibliographie
- Courrier International. (s. f.). Visite au Chili : Scholz soutient l’idée d’un mémorial sur le site d’une ancienne colonie nazie. https://www.courrierinternational.com/article/visite-au-chili-scholz-soutient-l-idee-d-un-memorial-sur-le-site-d-une-ancienne-colonie-nazie
- Le Point. (26 de abril, 2016). Berlin va ouvrir ses archives sur la sinistre Colonia Dignidad au Chili. https://www.lepoint.fr/monde/berlin-va-ouvrir-ses-archives-sur-la-sinistre-colonia-dignidad-au-chili-26-04-2016-2035134_24.php#11
- RFI. (7 de junio, 2024). Chili : le président Boric annonce l’expropriation de terrains de Colonia Dignidad. https://www.rfi.fr/fr/amériques/20240607-chili-president-boric-annonce-expropriation-terrains-colonia-dignidad

Enzo GUET, Noa ROUZE
Étudiants de troisième année à Sciences Po Grenoble