L’œuvre photographique « Penas de Azúcar » de Lucero Ardila n’est pas passée inaperçue lors de l’exposition ImageNation qui s’est tenue à Paris du 19 au 21 mai 2023. Il ne fait aucun doute que la photographe mexicaine a un style particulier. Entre l’exaltation de la féminité et la représentation de la mort, elle captive tous les regards. Cette jeune femme de 23 ans, étudiante en communication, est passionnée d’art. Dans ses œuvres, elle représente une mort « à la mexicaine », une mort qui célèbre la vie de la personne et le fait que l’on ne meurt pas vraiment, tant que les gens s’en souviennent.

Entre l’exaltation de la féminité et la représentation de la mort: Entretien avec la photographe Lucero ARDILA

Parlez-nous de votre œuvre « Penas de Azúcar », que vouliez-vous transmettre avec ce travail photographique ?

L’œuvre que j’ai exposée est une réinterprétation de la « Calavera garbancera » réalisée par José Guadalupe Posada. J’ai fait ma propre réinterprétation de la Catrina* et de tout l’imaginaire mexicain. Entre le maquillage, la photographie et le montage, il nous a fallu plus de 24 heures pour réaliser ce travail. J’ai pu le faire grâce à l’aide de la maquilleuse Judith Bidones. En soi, ce projet est une série de photos de Catrinas, mais Penas de Azúcar (peines sucrées) est la seule qui a vu le jour, les autres viendront plus tard.

Au Mexique, nous voyons la mort d’une manière très « heureuse été belle ». Je pense que « Penas de Azúcar » est née de mon obsession pour le jour des morts. Plus qu’une obsession, je suis, en fait, très intéressée par la relation que les mexicains ont avec la mort et la célébration de la vie de la personne après sa mort. Une partie de l’œuvre représente le fait qu’une personne ne meurt jamais parce que nous avons toujours sa mémoire. Je représente cela à travers ma Catrina, qui est peinte jusqu’aux épaules, mais qui a des mains « humaines ». Lors de mon exposition à Paris, il était très intéressant de voir les différentes interprétations de la mort de la part des visiteurs venus de différents pays et de constater leur intérêt pour la culture mexicaine.

Vous êtes actuellement étudiante en communication, comment avez-vous commencé à réaliser ce projet et à trouver votre style ?

C’était l’un de mes premiers projets. Je l’ai réalisé lors de la pandémie avec un tout petit budget. J’ai rassemblé les tissus, je me suis mise d’accord avec mon amie pour le maquillage et j’ai acheté des fleurs bon marché pour les accessoires. Je suis très attachée à ce projet, qui m’a beaucoup apporté et que j’ai réalisé avec un budget de 20 pesos (rires). C’est le premier projet que j’ai osé porter au niveau international.

Avant, je me disais : je n’ai pas de style et même si les couleurs et le thème changent, c’est toujours la même chose. Il se situe quelque part entre l’onirisme, le concept de féminité douce, les paysages de rêve et celui de beauté idéalisée. Je me suis approprié le concept stéréotypé de la féminité. Lorsque j’ai commencé la photographie, j’étais très inspirée par le baroque et la Renaissance, mais lorsque j’ai commencé à me plonger dans l’art latino-américain, je me suis intéressée aux femmes artistes d’inspirations oniriques et surréalistes, telles que Frida Kahlo, Maria Izquierdo, Petro Naviera. Lorsque j’ai découvert leurs peintures, j’ai été intéressée par la manière dont elles peignaient la critique sociale, leurs douleurs intérieures. Leurs œuvres étaient comme un livre ouvert. Le fait qu’elles s’inscrivent dans un contexte latino-américain est particulièrement intéressant car il me permet de m’identifier.

Vous parlez de l’art latino-américain dans les réseaux sociaux, en soulignant sa valeur. Comment avez-vous osé le faire et quel en a été l’impact ?

L’art en Europe est complètement à l’opposé de ce que l’on peut trouver en Amérique latine. J’ai commencé à m’intéresser davantage à l’art latino-américain en 2019 et le fait que les gens puissent le connaître mieux. Ce que j’aime dans l’art latino-américain, c’est la rébellion. Une rébellion envers l’art hégémonique qui nous est imposé. Il y a des filles et des adolescentes qui m’écrivent pour me dire que, grâce à moi, elles ont été motivées à faire de la photographie ou de la peinture. Beaucoup de mères m’écrivent aussi pour me remercier de mes vidéos. Cela me touche beaucoup. Je ne vais pas dire que j’ai révolutionné l’art, mais il y a certainement un impact, parce qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui se consacrent à parler de l’art latino-américain sur l’internet et qui s’adressent à un public jeune. Je pense que c’est quelque chose qui nous manque, nous avons besoin d’une plus grande représentation de ce récit, de parler des femmes artistes latino-américaines.

 

Entre l’exaltation de la féminité et la représentation de la mort: Entretien avec la photographe Lucero ARDILA

 

Parlez-nous de votre prochain projet.

Mon prochain projet, qui sortira entre septembre et octobre, est « Sueño en mexicano » (Rêve en mexicain). C’est un projet que j’ai réalisé seul et je suis très enthousiaste à l’idée de le présenter. Il s’agira d’un travail très différent de ce que j’ai fait jusqu’à présent, qui traitera d’une réalité très dure, de la manière dont les êtres humains se sont adaptés à la violence. Ce sera une œuvre très conceptuelle, un autoportrait extérieur. Je viens du Nord, la mort est présente dans notre vie quotidienne, chaque jour il y a des fusillades, des morts d’innocents. C’est pour ça que j’ai entrepris ce projet, parce que j’ai déjà fait ressortir le « beau » avec Penas de Azúcar, maintenant il est temps de faire ressortir la réalité, la partie la plus crue.

 

Entre la exaltación de la feminidad y representación de la muerte: Entrevista con la fotógrafa Lucero ARDILA

 *La Catrina es una figura muy conocida en la cultura mexicana y a nivel internacional. La figura de la calavera vestida con ropa sumamente elegante es una representación del artista Jose Guadalupe Posada. Lo que quiere representar con la Catrina es que todos, ya seamos ricos o pobres, terminaremos igual, como calaveras.

Nayra Palacios Miquel

Nayra Palacios Miquel

Étudiante péruvienne en licence de Sciences politiques et à l’Académie de l’ESJ

Traduction : Claudia Oudet