El Café Latino vient d’apprendre que le processus de restitution des œuvres précolombiennes de San Agustín, qui étaient conservées, jusqu’à il y a peu, au Musée ethnologique de Berlin, a commencé.

Comme nous l’expliquions dans notre revue El Café Latino numéro 56 – Appropriation culturelle et désintérêt politique : le cas des 35 statues du « Peuple sculpteur » de la Colombie – El Café Latino (elcafelatino.org) – 135 œuvres appartenant au patrimoine culturel colombien, reconnu comme patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, dorment dans les caves du musée ethnographique de Berlin.  Ces œuvres ont quitté le territoire national il y a plus de 100 ans et semblent maintenant se préparer à retourner sur leur terre d’origine. Le gouvernement colombien a adressé une demande officielle de restitution des œuvres au gouvernement allemand, qui a accepté la demande et l’a envoyée au responsable des musées de Berlin en charge des œuvres afin que toutes les démarches nécessaires soient entreprises pour formaliser la restitution.

La restitution des oeuvres précolombiennes par les autorités allemandes

©Eric Julien K

“Cette année 2022, la Colombie et l’Allemagne célébreront 150 ans de relations diplomatiques et cet acte sera un signe supplémentaire de la bonne coopération qui unit les deux pays. Vous pouvez écouter ci-dessous l’émission de Burkhard Birke sur la radio nationale allemande du vendredi 4 février 2022, où les événements sont expliqués. D’après le script original du reportage radio sur le Patrimoine colombien, diffusé le vendredi 4 février 2022 sur Deutschlandfunk – Radio nationale allemande.

 “Il y a 100 ans, l’ethnologue Konrad Theodor Preuss a ramené de nombreux objets d’un voyage de recherche en Colombie. Parmi eux figurent des objets archéologiques provenant de San Agustín, au sud-ouest de la Colombie, ainsi que de la Sierra Nevada de Santa Marta, au nord du pays.Concrètement, il s’agit de 133 objets lithiques de San Agustín et environ 113 objets de la culture Kogui de la Sierra. Se distinguent deux masques en bois de l’époque précolombienne, que les Indiens Kogui revendiquent pour leur facture rituelle correspondant au maintien et au respect de l’équilibre de la nature. Leur restitution fait depuis longtemps l’objet de discussions. Mais aujourd’hui, pour la première fois, le gouvernement colombien a formellement demandé le rapatriement des objets de San Agustín. Burkhard Birke s’est rendu en Colombie, pays d’origine de ces objets.”

La restitution des oeuvres précolombiennes par les autorités allemandes

©Musée de Berlin

Voix de l’auteur :
Masques rituels et idoles de pierre : la Colombie présente pour la première fois une demande officielle de restitution d’objets de la collection du Musée ethnologique de Berlin. Fin d’un conflit de longue date ?

Voix originale 1 – Arregoces Conchacala :
Nous exigeons la restitution : nos enfants qui ont été enlevés et sont captifs doivent être rendus à leur lieu d’origine.

Journaliste :
Les mots d’Arregoces Conchacala résonnent avant tout d’impatience. Le Gouverneur du conseil municipal, c’est-à-dire le porte-voix politique du peuple indigène kogui, ne comprend pas pourquoi deux masques rituels des koguis n’ont pas été rendus à leur terre natale. L’ethnologue et à l’époque, Directeur du Musée d’ethnologie Konrad Theodor Preuss avait ramené en Allemagne les fameux masques, suite à un travail de recherches avec les indiens koguis en 1919. Les quelque 25 000 Koguis, ou Kagaba, sont considérés comme la dernière culture indigène de haut niveau en Amérique latine, avec des grands prêtres, les Mamos, ou Mamas.

Pour leurs rituels, ils utilisent, entre autres objets, des masques en bois avec lesquels ils dansent pendant trois jours et trois nuits pour maintenir l’équilibre de la nature, selon leurs dires. Les deux masques du Musée ethnologique de Berlin jouent un rôle clé. Il s’agit du masque solaire et du grand masque solaire. Quand j’ai montré au Kogi Mama Shibulata une photo des masques dans une boîte en bois blanc prise dans la salle de stockage du musée ethnologique, il m’a regardé avec une certaine incompréhension.

Voix originale du Kágaba Shibulata (voix off) :
Voir les deux masques me rend très triste. Mama Pedro Juan et Mama Jacinto ont essayé de les ramener et ont expliqué clairement ce que ces masques représentent pour notre peuple. Malheureusement, nous n’avons pas réussi jusqu’à présent. Quand je regarde les masques maintenant, je suis encore plus inquiet. Je ne veux pas les regarder. Il est temps de ramener les masques sur notre terre, de les faire revenir, car ils contrôlent tout sur notre terre. L’absence des masques sur notre territoire nous rend tristes : il y a eu des catastrophes naturelles, les maladies se propagent. Il y a une énergie négative parce que les masques ne sont pas ici, à leur place. J’ai envie de pleurer.

La restitution des œuvres précolombiennes par les autorités allemandes

©Eric Julien K

Journaliste :
Il y a presque neuf ans, une délégation kogi est allée voir les masques dans leur “prison”, le musée ethnologique de Berlin-Dahlem. Depuis lors, ils ont explicitement exigé leur restitution. Hermann Parzinger, président de la Fondation du réseau des musées du patrimoine culturel prussien, chef du musée ethnologique :

Voix originale de Mr Parzinger :
D’après ce que nous savons, les masques de Kogi n’ont pas été acquis illégalement. Ils ont été acquis par Konrad Preuss lors de ses voyages en Colombie au début du 20e siècle. Cependant, nous avons, bien sûr, toujours dit que dans le cas d’objets ayant une signification particulière, rituelle ou autre pour les communautés indigènes, il est toujours possible de parler de leur restitution. Nous en avons assuré les Koguis il y a quelques années. La conservatrice responsable a également été en contact avec eux et nous sommes toujours prêts à renouer les relations et trouver des solutions.

Journaliste :
Cependant, les scientifiques se demandent si Preuss a acquis les masques de manière légitime, car il aurait profité d’un conflit d’héritage entre les Koguis. Si les masques sont toujours conservés dans la réserve du musée à Berlin-Dahlem, c’est principalement parce que – selon la conservatrice Manuela Fischer – aucune demande officielle de restitution n’a encore été reçue du gouvernement colombien. Cela pourrait bientôt changer. Une autre partie de la collection Konrad Theodor Preuss est également en litige. Il s’agit d’artefacts lithiques provenant de San Agustín, au sud-ouest de la Colombie, que Preuss aurait exportés comme « matériaux de construction » il y a plus de 100 ans et emmenés en Allemagne. Lors de sa visite à Berlin au début du mois de novembre 2021, la vice-présidente et ministre des affaires étrangères colombienne, Marta Lucía Ramírez, a fait de la rétrocession une question d’intérêt et a pris l’initiative peu après :

Voix originale de Mme Ramírez :
« Notre gouvernement est conscient de la peine ressentie, à cause de l’absence des objets du patrimoine ancestral faisant partie de la Culture San Agustín* actuellement en Allemagne, par nos communautés, qui en exigent le retour au pays d’origine ».
C’est la raison pour laquelle, le 23 novembre 2021, notre ambassade a envoyé une note verbale au ministère allemand des affaires étrangères dans laquelle nous demandons officiellement le retour d’un lot de 133 pièces lithiques qui ont été identifiées par les experts de l’Institut colombien d’anthropologie (ICANH) comme des pièces appartenant à la culture de San Agustín.

Journaliste:
Pour la première fois, la Colombie présente une sollicitude formelle de restitution. Les discussions seront désormais menées dans un esprit de coopération, a déclaré Marta Lucía Ramírez à la radio Deutschlandfunk. Hermann Parzinger de la Fondation du patrimoine culturel prussien :

Voix originale de Mr Parzinger :
Revenons sur tout ça. Il ne s’agit pas de statues, mais d’un total de 135 objets lithiques. La plupart sont de simples haches en pierre. Il y a aussi quelques fragments plus petits de sculptures en pierre. Nous allons également les examiner et, bien sûr, nous informerons aussitôt l’ambassade de Colombie, par l’intermédiaire du Ministère fédéral des affaires étrangères. Et ensuite, nous déciderons en conséquence de la manière dont nous pouvons résoudre ce problème.

Journaliste :
Ce qui est déterminant, c’est que les objets soient rendus à leur lieu d’origine et là où – comme dans le cas des masques – ils sont nécessaires.

Lien vers le reportage radiohttps://bit.ly/emissionderadio

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*La Culture San Agustín est l’une des anciennes cultures précolombiennes.

©Edward Bermúdez «Tumba en San Agustín»  

Burkhard Birke

Burkhard Birke

Auteur de l'article

Traduit par Claudia Oudet