Propos recueillis par Clara de Castro Casanueva à partir de la vidéo Instagram
SELMA GUETTAF
Selma Guettaf est une écrivaine algérienne basée à Paris. Elle a été journaliste pour la presse écrite oranaise. En 2014, elle a aussi été lauréate d’un concours de nouvelles sur la ville d’Oran. Depuis six ans, elle habite à Paris, où elle a suivi des études en Littérature Comparée et a publié des textes, des nouvelles, des chroniques, ainsi que participé à la série audiovisuelle Spleen coproduite par France Télévisions et les Films du Tambour de soie, en tant que documentaliste.
Ses principaux ouvrages :
- Les hommes et toi (Apic, 2016)
- Jeunesse ratée (Marsa, 2017)
- Proche d’un Spleen (Marsa, 2021)

ENTRETIEN
Quand as-tu commencé à écrire?
Très jeune, vers l’âge de quatorze ans. J’écrivais en classe ou chez moi le soir. Au départ, c’était un rapport assez intime à la lecture, puisque j’avais besoin de lire avant de m’endormir. Je lisais des romans qui n’étaient peut-être pas pour mon âge. Je pense à l’œuvre d’Edgar Allan Poe, par exemple… Puis, j’ai eu besoin de formuler avec des mots mon propre univers.
C’est en lisant tous ces écrivains que tu as commencé à te dire : “moi aussi j’aimerais faire pareil”?
Oui, je pense que la lecture est très formatrice et qu’on se découvre à travers des auteurs. Pour moi ça s’est fait un peu par hasard. J’étais petite, je lisais un roman sans savoir exactement ce que c’était, ce que représentait cet objet, c’est-à-dire que je ne connaissais pas cette appellation de “roman”. J’étais embarquée dans une histoire, c’était le plus important. Je n’étais pas attirée par des images… Un roman, ça peut sembler austère quand on est petit, puisqu’il n’y a pas de dessins à l’intérieur… Pourtant cet aspect-là m’avait fascinée.
En parlant de ton enfance, j’ai vu que tu es originaire d’Ouargla en Algérie et que tu as ensuite habité dans le village Bir-El-Arch, puis à Oran (tous ces endroits se trouvent en Algérie). J’aimerais que tu nous racontes comment a été ton enfance, puis ta jeunesse dans ces endroits.
Je me suis construite avec ces déménagements. Je crois que mes parents pratiquaient ce qu’on appelle aujourd’hui “le minimalisme”, ils n’avaient pas d’attachement aux objets. Je reproduis un peu ce modèle. J’ai toujours cette impression de ne pas habiter l’espace, de ne pas appartenir à un lieu en particulier.
J’étais une petite fille qui rêvait beaucoup. Il y avait une gare à côté de chez nous, des trains passaient. Mais ces trains-là ne transportaient jamais de voyageurs, c’était des trains de marchandises. La nuit, je m’endormais avec le vacarme des trains, un bruit qui était devenu rassurant avec le temps.
Aujourd’hui, je suis tout le temps dans cette recherche du mouvement. Je n’arrive pas à écrire dans l’immobilité.
Tu dis que tu ne t’attaches pas aux objets, que tu bouges beaucoup et que ce n’est pas quelque chose qui te dérange… Pourquoi as-tu décidé de déménager en France ?
Ça me semblait presque évident de m’installer à Paris. J’étais à la recherche de l’artistique. J’avais besoin que mes journées ne soient faites que de ça. Dans Proche d’un Spleen, par exemple, mon dernier roman, mes personnages se promènent vers trois heures du matin, éméchés, dans Paris. Cette ville a quelque chose de fantasmagorique et nous pousse à perdre pied avec la réalité.
Et où est-ce que tu trouves ton inspiration, plus concrètement?
D’abord, il y a mon parcours personnel. Je suis très attentive à mon histoire, qu’elle soit individuelle, familiale, collective, et particulièrement aux silences, à ce qu’on ne dit pas. Je prête attention à ce que l’on préfère taire. J’ai grandi dans une société qui cultive en quelque sorte le silence.
J’aime aussi assister à des rencontres avec des écrivaines et des écrivains, à des lectures, à des pièces de théâtre. Ces événements me permettent de garder espoir…
Est-ce que tu privilégies des thèmes en particulier dans tes écrits?
La question du corps m’intéresse, le corps de la femme. Je suis très sensible à la question de l’intime.
Dans ton premier roman “J’aime le malheur que tu me causes”, tu t’intéresses au passage de l’adolescence à l’âge adulte. Ce sujet-là t’intéressait en particulier ?
Dans J’aime le malheur que tu me causes, un groupe d’adolescents mène l’intrigue et prend la parole. L’écriture du récit est liée à des préoccupations que j’avais à l’époque. J’étais avant tout une lectrice et je ne trouvais pas de récit qui fournissait des réponses à mes interrogations d’adolescente, vivant dans une société, avec tout ce qu’elle a comme histoire. Tout est donc parti d’un constat de lecture. Je sais par exemple aujourd’hui, qu’il y a le roman de Maïssa Bey Au commencement était la mer, l’héroïne est une jeune femme de 18 ans. Dans J’aime le malheur que tu me causes, les protagonistes sont des adolescents de 16-17 ans.

J’aimerais aussi que tu me parles de tes autres romans. Ton deuxième ouvrage s’intitule “Les hommes et toi”. De quoi parles-tu exactement dans cet ouvrage? Et comment a été le passage du premier au sujet que tu abordes au deuxième ?
Dans Les hommes et toi, j’ai voulu explorer la question du deuil. Comment “faire son deuil” ? L’ expression “faire son deuil” suppose un travail, on attend de vous que vous fassiez quelque chose. Dans Les hommes et toi, les protagonistes, une soeur et son frère, ne font rien; ils subissent leur deuil. Ils sont dans une perte d’énergie, d’équilibre et s’enferment dans leur espace à eux pour essayer de vivre ce deuil.
Ça a été difficile d’écrire leur silence, leur déchirement. Leur parcours peut sembler particulier. J’explore des sujets comme la prostitution.
Donc il y a une évolution de ton premier à ton deuxième ouvrage, ce sont deux thèmes complètement différents… J’aimerais que tu nous parles aussi de tes projets, éventuellement de tes futurs ouvrages
Il y a la sortie récente de Proche d’un Spleen chez Marsa. Un livre qui découle de mon expérience de documentaliste dans le développement de la série Spleen écrite et réalisée par Florian Beaume, coproduite par Les films du tambour de soie et France Télévisions (non encore diffusée). Par ailleurs, un séjour artistique à Limoges se prépare avec le photographe Nassir MKV. Nous serons amenés à travailler ensemble dans le cadre de la création d’un roman-photo.
Génial, félicitations! Pour conclure ce bloc de questions, pourrais-tu nous recommander un livre, selon toi à ne pas rater? Ou un livre écrit par quelqu’un d’autre mais que tu aurais aimé écrire?
Au commencement était la mer de Maïssa Bey. C’est un livre qui a marqué la littérature. Elle est, il me semble bien, l’une des premières écrivaines algériennes à aborder la question de l’avortement dans un roman, dans une époque très particulière, celle des années 90. Ce livre me bouleverse à chaque fois que je le relis.
Merci ! J’en profite pour rappeler que le magazine El Café Latino va prochainement organiser un atelier d’écriture animé par Selma Guettaf … J’aimerais te poser quelques questions à ce sujet. Pourrais-tu nous expliquer plus précisément en quoi consiste l’activité des ateliers d’écriture que tu animes ?
Ces ateliers s’adressent à toute personne intéressée par l’écriture, qui aurait déjà écrit un début de manuscrit, ou qui aurait seulement un projet de création en tête et qui aimerait être guidée et bénéficier de conseils…
D’accord, donc l’atelier permet de développer une idée lorsqu’on n’a pas forcément tous les outils d’écriture en mains. Pourrais-tu nous donner plus de détails à propos du déroulement des séances ?
On est dans l’écriture de l’intime. Il s’agit de venir avec son texte, d’avoir des retours mais aussi de comprendre ce qu’on est en train d’écrire, donc de comprendre ses atouts et les choses à retravailler.
Oui, en effet cela peut être très utile de connaître ces outils pour pouvoir exprimer des choses qu’on n’arrive pas forcément à dire à sa manière. Donc nous vous invitons à tenter ces ateliers si jamais vous vous trouvez dans cette situation! Et quels seraient les objectifs pour la fin de l’atelier ? S’approprier tous ces outils, ou plutôt repartir avec un premier texte terminé, par exemple ?
Cela dépend de chaque participant. Il y a des personnes qui arrivent avec un manuscrit auquel il manque des passages, d’autres qui ont besoin de commencer quelque chose. En tout cas, il s’agit d’arriver à accompagner chaque personne.
Et puis, on a ce souhait de créer un groupe. Penser à des lectures, à des interprétations. Il y a cette idée de rester ensemble pour concevoir des créations au sens large. Je suis très sensible aux univers transmédiatiques, cela fait partie de mon parcours.
Quelles méthodes utilises-tu au cours de ces ateliers ? Comment tu t’y prends?
Je vise d’abord à développer un rapport à la lecture. Nous ne savons pas toujours lire… Aujourd’hui encore, je continue à apprendre comment lire un texte. Comprendre un texte, voici donc le point de départ. Constater quel processus de création est utilisé.
Les personnes qui viennent aux ateliers sont surprises au départ quand je me mets à parler de lecture… puisqu’elles viennent pour écrire des textes. Passé ce moment d’étonnement, on commence à envisager l’écriture autrement. Comment arriver à écrire de bons manuscrits si on n’arrive pas à décortiquer un texte littéraire ?

Vous pouvez vous inscrire aux ateliers sur le site de elcafelatino.org. Ils seront donc animés par Selma Guettaf qui s’est livrée à travers cet entretien sur son rapport à l’écriture.

El Café Latino
propos recueillis par Clara de Castro Casanueva